Il fleurit aujourd’hui un peu partout, et sa mode est nouvelle chez nous. Dans d’autres cultures que la nôtre, spécialement dans les peuplades dites primitives, il est une norme obligatoire. Les motifs en sont magiques ou religieux, et dans ce monde-là on ne conçoit pas que puisse exister quiconque n’est pas tatoué. Chez nous, pendant longtemps le tatouage était réservé à une minorité de marginaux : bandits, pirates, bagnards, etc. Mais maintenant ce n’est plus le cas : il concerne tout le monde.
La raison de se faire tatouer cependant n’est pas la même que chez les peuplades que je viens d’évoquer : elle n’est plus religieuse, mais esthétique. L’évolution d’ailleurs est la même que pour l’Art en général : on est passé de formes soumises à une croyance (art sacré, puis religieux), à des formes autonomes, intéressant pour elles-mêmes. L’Art au sens moderne du mot est né chez nous de la mort des dieux. On a pris la surface seule comme essentielle, vérifiant en un sens ici le mot de Valéry : « Ce que l’homme a de plus profond c’est sa peau. »
Peut-on tout de même tout se permettre ? Cela n’est pas sûr. Ainsi Sylvain, tatoué de la tête aux pieds et considéré comme l’homme le plus tatoué de France, est professeur des écoles en Essonne. Mais son look atypique déplaît à des parents d’élèves qui lui reprochent de « faire peur aux enfants ». Et il est menacé de ne plus pouvoir exercer dans les classes de maternelle par l’inspection académique. (Source : ouest-france.fr, 22/09/2020, avec photo de l’intéressé)
Il assure que les parents qui se plaignent sont des parents d’enfants qu’il n’a pas en classe, et qu’au contraire avec les parents de ses propres élèves tout se passe bien. Cela vérifie ce que je pense depuis longtemps : l’on a plus peur de ce qui est éloigné que de ce qui est proche. « De loin, c’est quelque chose, et de près ce n’est rien », dit La Fontaine dans « Le Chameau et les bâtons flottants »).
Aussi il faudrait, si du moins c’est possible vu leur âge, interroger les enfants eux-mêmes sur la peur qu’on suppose être la leur. Peut-être sont-ils au contraire fascinés, et pourquoi pas émerveillés par une créature si fantastique, semblant tout droit sortie des Contes de fées, et se penchant sur eux. Qui sait ?
Et alors la peur apparaîtrait pour ce qu’elle est : une projection que font les parents eux-mêmes sur leurs propres enfants. Ce phénomène est très fréquent, et peut se résumer par ce que dit souvent une mère à l’adresse de son enfant : « Mets ton pull, j’ai froid ! ». Autrement dit ici : « J’ai peur, donc tu dois avoir peur ! » Voyez de la même façon ce que dit Sartre dans Les Mots : « Un enfant, ce monstre que les adultes fabriquent avec leurs regrets. » Cette sollicitude en réalité encombrée de projections est une mauvaise façon d’aimer, comme je l’ai souligné dans mon livre Savoir aimer – Entre rêve et réalité (éd. BoD, 2020).
Je ne sais quel sera le sort final de Sylvain. Mais je pense qu’avant d’exclure il faut au moins réfléchir, ne pas se laisser submerger par les émotions, et ce quelle que soit la décision qu’enfin l’on sera amené à prendre.
/image%2F1454908%2F20200927%2Fob_eab1c0_tatouage-illustration.jpg)
***
Retrouvez tous mes articles de Golias Hebdo, publiés en plusieurs volumes, sous le titre Des mots pour le dire, chez BoD. Sur le site de cet éditeur, on peut en lire un extrait, les acheter... Cliquer : ici.
Notez qu'ils sont aussi tous commandables en librairie, et sur les sites de vente en ligne (Amazon, Fnac, etc.).
commenter cet article …