... Ou bien s’agit-il de l’ébranlement ou du séisme où nous mettent certains visages, qu’il vaudrait mieux pour nous ne jamais avoir vus, car ils nous font trop mal à les considérer ? Certes la beauté est un appel, une sommation. Mais une fois manifestée nous laisse-telle indemnes ? Il y a bel et bien un effroi du beau devant certaines apparitions, car nous y sentons une trop grande distance avec ce que nous sommes nous-mêmes, et un trop grand éloignement avec ce que nous vivrons l’instant d’après, une fois l’apparition finie. Dans la beauté réside un côté excessif, un aspect too much, qui nous fait mourir. On meurt en beauté, tout simplement peut-être parce qu’on est condamné à lui survivre. On sent bien qu’une fois aperçue on ne sera plus jamais au niveau de cette expérience exceptionnelle. La beauté parfaite est un retournement de l’être, une « catastrophe » au sens propre du terme grec, selon ce que dit André Breton. On peut la fuir, ou en pleurer. En fait c’est alors sur soi qu’on pleure : pleurer c’est se prendre en pitié soi-même.
Les mythes anciens le montrent. Un danger fatal accompagne la vision de la beauté. Le chasseur Actéon meurt d’avoir vu Artémis se baignant nue : transformé en cerf, il est dévoré par ses propres chiens, métaphore évidente de ses propres pulsions intérieures. Et Sémélé meurt aussi d’avoir eu l’imprudence de vouloir voir Zeus dans toute sa gloire et sa beauté. La Bible dit aussi la même chose : « On ne peut voir Dieu et vivre. » (Exode, 33/20)
Car le beau n’est pas le joli ou l’agréable. Ces derniers se contentent de plaire. Mais il n’y a de vrai beau que déchirant. Quelque chose doit s’y détruire, s’y casser. Le langage le dit très bien d’ailleurs : quant rien n’est là pour bouleverser, on dit familièrement qu’il n’y a rien là de « frappant », ou que cela « ne casse rien ».
Mon bel amour mon cher amour ma déchirure...
dit Aragon dans « Il n’y a pas d’amour heureux ». On comprend bien que le désir sidéral, le désir de l’étoile soit aussi une déchirure, mais aussi qu’on y accepte d’être déchiré, qu’on y recherche même l’anéantissement, tel le papillon qui se bûle les ailes dans la flamme de la bougie, où il trouve une mort bienheureuse. Il ne faut pas condamner cette envie, qui fait penser à la transverbération de certains mystiques, comme celle de Thérèse transpercée par la flèche de l’Ange dans le groupe sculpté du Bernin : extase et mort à la fois. Mais ce tropisme existe bel et bien, au moins chez certains êtres. Il y a des femmes, dit Baudelaire, qui inspirent le désir de mourir lentement sous leur regard. On peut parler d’une expérience oxymorique, celle d’un mal qui nous fait du bien, comme dit Ferré dans « C’est extra ». On pense aussi au : « Tu me tues. Tu me fais du bien », de Duras, dans Hiroshima mon amour. Finalement, est beau ce qui désespère :
Il est des visages
Dont la perfection
Laisse en héritage
Le mal qu’ils nous font...
***
Ce texte est extrait de mon livre Savoir aimer - Entre rêve et réalité, p.49-51.
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DESCRIPTION
Aimer au sens humain du mot n'est pas quelque chose de spontané. Cela s'apprend tout au long de la vie, et par une réflexion à quoi ce livre veut contribuer. Il ne défend aucune vision normative de l'amour. Il traite d'abord de l'amour-passion, qui se nourrit de désir et de rêves. Puis de l'amour-compassion, qui affronte le réel. Ensuite il met en lumière les dangers qui guettent l'un et l'autre : l'oubli d'autrui pour le premier, le sacrifice de soi pour le second. La (...)
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