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a Poste a refusé d’éditer dans le Doubs un timbre commémoratif représentant L’Origine du monde de Courbet, au motif que l’œuvre « pouvait heurter la sensibilité des enfants » (Source : A.F.P., 31/01/2014).
Je ne vois pas ce que les « enfants » viennent faire là-dedans. Ce sont plutôt certains adultes qui sont mal à l’aise devant un tableau de ce type, et qui y voient une offense aux bonnes mœurs. En quoi c’est d’eux-mêmes qu’ils parlent, et non du tableau.
Rien de plus beau que le sexe d’une femme, notre Origine. Je sais bien que même certaines d’entre elles disent qu’il y a à le représenter quelque chose de dégradant ou d’avilissant. Mais elles ne font que montrer leurs propres frustrations, la façon dévalorisante dont elles-mêmes considèrent leur propre corps. Heureusement que toutes ne sont pas dans ce cas. [v. Œuvre]
Sans doute est-ce là, aussi bien dans le cas des hommes que des femmes, le fruit d’une éducation millénaire culpabilisant le corps et la sexualité, où a pu mener le christianisme. Pourtant on devrait bien savoir que selon le Texte dont se réclame ce dernier c’est dans l’œil, dans le regard qu’est l’impureté, et non dans l’objet qui se présente à lui. Jésus le dit bien dans l’Évangile : c’est ce qui sort de nous qui nous souille, non ce qui y entre – ainsi notre façon de regarder, non ce que nous regardons.
On objectera à propos du tableau de Courbet le réalisme de la figuration. Mais c’est ce refus du mensonge lui-même qui magnifie la femme. Ce qui est obscène et hypocrite au contraire, ce sont les peintres qui estompent les nudités, qui les dissimulent par le mensonge du voilement (le voile ment !) pour faire passer une peinture qui très sournoisement « vise bas » : les académiques, comme Cabanel par exemple dans sa Naissance de Vénus : l’alibi mythologique et le flou pubien donnent bonne conscience aux voyeurs friands de scènes « sexy ». Cette dissimulation du réel caractérise même le kitsch. (*)
À l’inverse, tout comme Courbet, Egon Schiele par exemple a peint les pilosités, et là réside la vérité de son œuvre. Non une nuda veritas (vérité nue), mais une vera nuditas (vraie nudité).
Enfin je trouve bien bizarre qu’on refuse ce qui touche au sexe en le déclarant pornographique, et qu’on admette à satiété la violence belliqueuse : les scènes de guerre, de massacres, de sang versé, etc., dont toutes nos représentations sont remplies, que ce soit dans les séries télé ou les jeux vidéo. C’est bien cela à mon avis qui devrait choquer les enfants.
Mais on préfère faire d’eux de futurs assassins ou victimes glorifiés dans la « boucherie héroïque » des combats, que leur montrer d’où ils viennent, d’où ils tirent la vie.
Article paru dans Golias Hebdo, 13 février 2014
(*) Voir mon livre Le Kitsch - Une énigme esthétique, BoD, 2020 (lien).
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Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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