Dans le conflit actuel russo-ukrainien, les commentateurs ont souligné que Vladimir Poutine veut redonner à son pays une grandeur perdue. J'ai déjà parlé de cette notion de grandeur (lien), qui pour moi est quelque chose de chimérique et constitue une absolue soumission au regard des autres. Mieux vaut proposer à un peuple le bonheur, plutôt que la grandeur. - Des notions corrélatives sont la fierté et l'honneur, également valeurs de représentation. Aussi je republie un article paru dans Golias Hebdo, n° 87 - Semaine du 2 au 8 juillet 2009 :
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abord il ne faut pas le confondre avec les marques d’honneur. Cela ne signifie pas toujours grand-chose que d’être honoré, puisque cela ne veut pas dire forcément qu’on soit honorable. Dans les distinctions officielles, on n’est pas sûr de se trouver en bonne compagnie. Il y a même des cas où les honneurs déshonorent, et où, quand le rouge ne monte pas au front, il s’arrête à la boutonnière. Ou bien encore, comme disait Machiavel : « Les honneurs n'honorent pas l'homme. C'est l'homme qui honore les honneurs. »
Ensuite l’honneur est lié à ce qu’on fait, non à ce qu’on nous fait. S’imaginer touché dans son honneur si on nous gifle, ou si on nous marche sur les pieds, ou même si on nous regarde de travers, est stupide. De ce point de vue, l’honneur chevaleresque tel qu’on le voit dans Le Cid par exemple n’a pas disparu. Il est même la règle dans les mœurs des banlieues : il m’a mal regardé, il m’a manqué de respect, etc. N’était la langue, le monde de cette pièce absurde reste totalement compréhensible aujourd’hui par certains.
L’honneur chevaleresque renvoie à ce qu’il y a de plus animal dans l’homme : on doit respecter mon territoire ou ma propriété, sinon je riposte immédiatement. D’autre part il valorise, en un être, ce qu’il représente aux yeux des autres, alors que l’essentiel devrait être ce qu’il est au fond de lui-même : je vis sous le regard d’autrui, j’en dépends, et pour cela je ne veux pas perdre la face si on en vient à « me manquer ».
Une femme victime d’un viol n’est pas déshonorée. C’est l’agresseur criminel qui l’est, par ce qu’il a fait. Par quelle aberration en est-on venu à considérer un viol comme une tache ou une souillure faite sur la victime ? Et pourquoi s’en prendre à elle ? Pourquoi y a-t-il encore, dans certaines cultures attardées, des « crimes d’honneur » ? Sauf à considérer la femme comme un objet, une propriété personnelle qu’il ne faut pas dévaloriser si on veut qu’elle garde tout son prix : en somme, un territoire à défendre.
La phrase de Pagnol : « L’honneur, c’est comme les allumettes, ça ne sert qu’une fois », est bien tournée, mais le fond en est archaïque et barbare. Sachons donc réexaminer ce que l’opinion, l’éducation, l’école même ont pu nous inculquer. Certaines valeurs qui nous semblent naturelles sont, tout simplement, absurdes.
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