Cyrille, patriarche de l’Église orthodoxe russe, a depuis longtemps fait allégeance à Vladimir Poutine, et le soutient dans toutes ses entreprises nationalistes (lien). Aussi ce m’est l’occasion de chercher s’il y a un lien entre le christianisme orthodoxe et la soumission au pouvoir politique, ainsi qu’avec le conservatisme social.
La figure de Jésus telle qu’elle est vue en orthodoxie n’invite pas à se révolter contre l’ordre existant. Au concile de Nicée (325) le Fils a été dit consubstantiel au Père, et donc a été arraché à l’humanité simple pour participer essentiellement du divin. Face à cette figure, le peuple fidèle n’a plus eu désormais de modèle humain d’identification pour se révolter contre l’injustice. Il n’a plus eu qu’à baisser la tête devant la majesté superlative de son Seigneur, ce qui naturellement conduit à l’acceptation du monde comme il est, au conservatisme. Cet abaissement est un cas typique de régression psychologique.
Cette promotion de la figure christique était déjà en germe dans l’évangile selon Jean, où Jésus a déjà des traits tout à fait divins. Mais sa figure est tout autre dans les évangiles synoptiques, qui présentent un Jésus essentiellement humain, vu comme un prophète de la justice. Voyez les Béatitudes à cet égard. Elles autorisent par exemple la théologie de la libération, qui est impensable en orthodoxie.
De fait cette dernière ne reçoit que la christologie nicéenne, tandis que le christianisme occidental peut aussi se fonder sur la Symbole des Apôtres, qu’il pratique soit à égalité avec le Symbole de Nicée (en catholicisme), soit exclusivement (en protestantisme), et où la consubstantialité évidemment ne figure pas, puisque c’est un dogme ultérieurement apparu.
Mais l’orthodoxie n’admet que le Symbole de Nicée. Il est normal qu’elle s’inscrive à sa suite, en tant que littéralement gardienne de la droiture du dogme (ortho-doxie).
Elle est aussi en général plus johannique d’inspiration. Et à cet égard sa séparation d’avec le christianisme occidental est significative. Elle s’est faite en grande partie sur la question dite du Filioque, l’Occident disant que l’Esprit procède du Père et du Fils (Filioque), et l’Orient au contraire disant que l’Esprit ne procède que du Père seul. C’est pourtant lui qui a raison au regard du texte de Jean, où Jésus dit qu’il enverra à ses disciples l’Esprit Saint qui procède du Père (15/26).
Il y a peut-être là plus de rigueur textuelle, mais la fixation dogmatique ne varietur d’une ancienne formule ferme la pensée bien plus qu’elle ne l’ouvre. Car l’option occidentale sur la double procession de l’Esprit a le mérite de valoriser davantage le Fils, donc une figure qu’on peut sentir plus proche de soi en humanité, un modèle à imiter, un peu comme un frère d’armes.
Il y a donc dans ces deux Symboles deux façons de voir Jésus, bien différentes : soit comme un homme au départ qui finalement devient Dieu, par apothéose (Symbole des Apôtres), soit comme un Dieu à l’origine qui s’abaisse à devenir un homme, et qui ensuite revient au ciel dont il est issu (Symbole de Nicée). La synthèse ultérieure du concile de Chalcédoine sur la double nature du Christ n’éclaire pas à mon avis exagérément la question, au point que ce concile a subi beaucoup de critiques, et aussi n’a pas été reçu par beaucoup d’Églises (qu’on appelle non chalcédoniennes).
Nous voilà donc avec l’orthodoxie face à un corpus de textes et de dogmes ayant considérablement augmenté le côté divin de la figure christique, et corrélativement poussé les hommes à se dessaisir de leur capacité de s’occuper de leurs affaires terrestres. On comprend pourquoi alors l’orthodoxie est volontiers socialement conservatrice et soumise au pouvoir en place.
Elle ne fait que reprendre au fond les formules de l’apôtre Paul : « Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le pouvoir, car il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui existent sont établies par lui. » (Romains 13/1)
C’est exactement ce que maintenant le patriarche Cyrille dit de Vladimir Poutine. En 2012, il avait exprimé sa fidélité en proclamant que la présidence de ce dernier était « un miracle de Dieu ». En somme, le président russe est président de droit divin.
Pour approfondir ce que je dis dans cet article sur les deux Credos, voir le livre que j'ai consacré à leur examen ;
Les Mystères du Credo - Le blog de michel.theron.over-blog.fr
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