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l est le deuil du projet qui l’a précédé, et donc peut provoquer une grande mélancolie, voire une dépression.
Je pense à ce qui est arrivé à Neil Amstrong, le premier homme à avoir marché sur la Lune. Il s’est retiré de la vie publique dans son Ohio natal. Il ne donne aucune entrevue. On prétend qu’il ne s’est jamais remis de son « pas de géant » accompli au nom de l’humanité, et que, depuis qu’il est revenu de la Lune, il n’est plus tout à fait le même. Il souffre, dit-on, d’une maladie curieuse : le « syndrome de l’accomplissement total ». Ayant concrétisé le plus suprême de ses rêves, il aurait perdu le goût de tout. (Source Internet : Nox oculis – La cartographie lunaire et l’exploration spatiale).
Rien de curieux pourtant là-dedans. « Toute œuvre, disait Walter Benjamin, est le masque mortuaire de son intention. » C’est sans doute pourquoi, dans la Bible juive, Dieu dit « bon » ce qu’il a fait au jour Un ou jour de l’Unité (en hébreu : Yom Erad – il ne s’agit pas comme on le traduit souvent du « premier » jour). Mais il ne répète pas au deuxième jour son auto-félicitation (Genèse 1/6-8). Celle-ci ne reprend qu’au troisième jour.
Tout se passe comme s’il y avait un principe de malédiction, une sorte de moins-être, dans tout accomplissement, qui est la rupture de l’infini des possibles présent au départ, l’éclatement catastrophique d’une unité première, comme les Gnostiques l’ont toujours souligné.
On peut en effet menacer quelqu’un de l’accomplissement de ce qu’il souhaite le plus ardemment. Car s’il l’obtient, il n’aura plus rien à désirer, ce qui est sans doute le pire des états. « Laisser à désirer » n’est pas péjoratif, et les dieux nous punissent en nous exauçant. Changeons donc nos cartes de vœux : « Je vous souhaite de ne pas obtenir cette année tout ce que vous désirez ! » Je ne sais quelle tête ferait le destinataire, mais cela vaut le coup toujours d’essayer.
Le désir fleurit, la possession flétrit toute chose. La vraie fête, c’est la veille de la fête. Le vrai dimanche, c’est le samedi soir. Les vraies vacances, c’est le jour où on les prend.
Il y a un vrai pouvoir de l’absence. Loin des yeux, près du cœur. « Comme vous étiez jolie, hier soir au téléphone ! » a dit joliment Sacha Guitry. Le meilleur moment en amour, c’est quand on monte l’escalier. Comme l'emballage est souvent meilleur que le cadeau, l'amour est meilleur dans les rêves que dans les draps. L’homme descend du Songe : il meurt de le réaliser…
Sachons méditer tout cela, ne nous laissons pas prendre à ceux qui nous disent par catéchisme que tout accomplissement est positif, comme ceux qui ne voient pas dans le texte de la Genèse l’importante faille que j’ai signalée. Écoutons plutôt ici ce que dit l’Apôtre : « L’espérance qu’on voit n’est plus espérance : ce qu’on voit, peut-on l’espérer encore ? » (Romains 8/24)
Article paru dans Golias Hebdo, 17 novembre 2011
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Cet article est extrait de mon ouvrage en deux tomes Chroniques religieuses, édité chez BoD. On peut les feuilleter en cliquant ci-dessous sur Lire un extrait. Et on peut les acheter sur le site de l'éditeur en cliquant sur Vers la librairie BoD :
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