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n religion, les conséquences de son acceptation aveugle et littérale peuvent être catastrophiques.
Soit d’abord l’exemple du retour imminent du Christ pour les chrétiens. C’est un article de foi du Credo de Nicée : « Et de nouveau il va venir dans la gloire juger vivants et morts. » Il s’agit bien ici d’un futur proche. Le latin venturus est, qui calque le grec erkhomenon, signifie bien que ce retour, appelé parousie, va se faire très bientôt. Si la date en était éloignée, le latin aurait mis un futur simple : veniet.
Cette imminence eschatologique caractérisait sûrement le milieu dans lequel vivaient les premiers chrétiens. Mais ensuite cette attente, même démentie par les faits, n’a cessé de perdurer jusqu’à aujourd’hui dans tous les mouvements de l’impatience : millénarismes divers, adventismes (du latin adventus, venue), etc.
L’effet pervers en peut être le suivant : si de toute façon le retour du Maître doit se faire très bientôt, il n’y a aucune raison de changer quoi que ce soit à notre manière matérielle de vivre, et par exemple de ménager les ressources de la planète. On peut donc polluer à son gré, refuser les avertissements de l’écologie. C’est une position très répandue chez les évangéliques états-uniens. On sait que sous l’ère Bush père et fils, le mode de vie états-unien n’« était pas négociable. » Voilà où peut mener, par un détour certes inattendu, la vision d’un très proche retour du Christ.
Second exemple, la croyance à la « résurrection de la chair », telle que la formule le Symbole des Apôtres. Si elle est comprise littéralement, comme l’idée qu’il y aura pour chacun une autre vie après celle-ci, une seconde chance qui lui sera donnée, alors cette vie-ci, n’étant pas la seule que nous pouvons connaître, en acquiert beaucoup moins d’importance.
Résultat possible de la « vie éternelle » comprise comme une vie future : on peut facilement vouloir ôter la vie à son prochain, puisque si alors on perd la sienne on en aura soi-même une autre. Ainsi le fanatisme actif, le terrorisme, l’esprit kamikaze des fous de Dieu se justifient. Comme disait Voltaire : « Que répondre à celui qui s’imagine gagner le ciel en vous égorgeant ? » – Cette position-là, on le sait, n’est pas propre au christianisme.
La solution serait d’interpréter tous ces dogmes de façon symbolique, d’y voir non des certitudes factuelles mais des scénarios intérieurs.
Ainsi le Jugement (en grec krisis) pourrait être celui que l’homme porte sur lui-même à telle ou telle occasion critique de sa vie : est-il resté fidèle à lui-même, à ses anciens rêves, ne s’est-il pas renié, etc. ? Et la Résurrection pourrait être vue comme un redressement spirituel, une résilience à faire dès cette vie-ci.
Cette intériorisation serait sage, mais les fous sont en grand nombre.
[v. Crise]
Article paru dans Golias Hebdo, 12 décembre 2012
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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