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éservé souvent au peuple, il a mauvaise presse et est souvent condamné chez qui réfléchit.
Tout le monde connaît la phrase de la seconde épître aux Corinthiens : « La lettre tue, mais l’esprit vivifie. » (3/6) De même on sait le proverbe oriental : « Quand on montre la lune du doigt, l’imbécile regarde le doigt. » La question semble donc close.
Pourtant elle ne l’est pas. J’ai revu dans la soirée de samedi dernier, sur Arte, l’émission Naufragés des Andes : des rescapés uruguayens dont l’avion s’est écrasé dans la cordillère des Andes, en 1972, abandonnés pendant 72 jours, n’ont pu réussir à survivre qu’en prélevant de la viande sur les corps morts de leurs compagnons d’infortune, brisant un tabou majeur pour nous, le cannibalisme.
La presse s’en étant ensuite émue, ils ont fait référence à l’eucharistie chrétienne. C’est un fait que le Christ s’y donne lui-même à manger à ses disciples : « Prenez, mangez, ceci est mon corps… » (Matthieu 26/26). Même si dans d’autres versions le « mangez » ne figure pas (rajouté parfois en Marc 14/22, absent en Luc 22/19), ce qui montre encore l’hésitation des rédacteurs devant un tel rite païen ou orgiaque d’origine, la version qui s’est imposée, et qui figure d’abord dans la première épître aux Corinthiens (11/24-29), fait de l’eucharistie une manducation sacrée. Elle justifie le nom injurieux de théophages, mangeurs de Dieu, que les réformés appliquèrent aux catholiques.
Heureusement pour eux, ces Uruguayens étaient catholiques. Ils ont dû leur survie à un rite et un dogme qu’ils ont pris au premier degré : la présence réelle sur l’autel sacrificiel de la messe, une fois dites les prières sacramentelles, du corps et du sang du Sauveur, qu’on appelle la transsubstantiation.
S’ils avaient été protestants et surtout réformés, pour qui cette présence n’est que symbolique, ils n’auraient pas pu ainsi se défendre. Seraient-ils morts dans l’aventure ? Il me semble que c’eût été bien dommage.
Il y a donc des cas, certes rares, où le littéralisme s’accorde bien avec la raison, et il faut tirer de tout cela une leçon de salutaire tolérance.
... Au reste, les tabous diffèrent selon les pays. À la fin du Satyricon de Fellini, un homme riche laisse sa fortune à ceux qui accepteront de manger son cadavre : réprobation d’abord chez les assistants, puis hésitation, et enfin acceptation pour certains. Cela donne beaucoup à réfléchir.
On connaît aussi le cas des Parsis de l’Inde, chez qui il est d’usage que les cadavres des adeptes ne soient ni enterrés ni brûlés, mais soient exposés à l’air libre pour être dévorés par les oiseaux. Or ces derniers ne valent-ils pas autant que les vers ?
Article paru dans Golias Hebdo, 30 septembre 2010
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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