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e mot a chez nous des connotations positives : « Il faut évoluer », etc. Il est significatif d’une croyance généralisée au progrès, que nous devons au scientisme du 19e siècle.
Mais aujourd’hui cette notion a été abandonnée par les généticiens et biologistes, qui parlent simplement d’« innovation » (neutre), dont le résultat peut être soit un succès, soit un échec quant à l’adaptation à de nouvelles conditions de vie de l’individu qui « innove ».
Mais comme nous ne voyons que les réussites, en ne pensant pas aux échecs, nous faisons de ces réussites une loi, et avons de l’évolution une vision fondamentalement positive. Les laissés-pour-compte, les ratés qu’elle produit, nous les oublions. Car l’innovation ne garantit en aucune façon la réussite – et même, proportionnellement, les possibilités de réussite sont très faibles dans l’ensemble du processus adaptatif.
Les innovations sont brusques, et n’obéissent pas à un mouvement linéaire et régulier. Il n’y a derrière tout cela aucune finalité prédéterminée, tout vient du hasard, de l’aléatoire. C’est une loterie, où il est impossible de prévoir, au départ, quels seront les gagnants.
On sait que l’ancien créationnisme, qui interprétait littéralement le début de la Genèse, a été « relooké » aux États-Unis par le mouvement dit de l’Intelligent Design (ID), selon lequel il faut voir dans l’évolution un but, un dessein, les résultats finaux garantissant le projet initial. Mais, comme susdit, on oublie l’immense foule des ratages antérieurs, et évidemment toujours possibles dans l’avenir. Que ne relit-on Darwin, qui au rebours de l’idée de progrès dominant son siècle, a le premier perçu le hasard fondamental qui préside à l’évolution !
Notre narcissisme et notre nombrilisme sont si grands que nous oublions que nous ne sommes que le résultat de la rencontre d’un spermatozoïde plus sprinteur que les autres avec un ovule. Nous aurions pu ne pas être là : mais nous n’imaginons jamais le contraire. Le sens que nous affectons à notre vie n’est que le désir que nous avons de sa présence, rien de plus. Mais si cette absence de sens est le vrai, essayons au moins d’en donner un aux relations que nous avons avec les autres.
Article paru dans Golias Hebdo, 19 février 2015
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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