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ai vu l’excellente émission Le Pape et la Mafia, passée sur Arte le 2 juin dernier. On a rappelé fort opportunément qu’en 2014 le pape François a excommunié la Mafia.
Mais l’émission montrait ensuite les liens étroits entretenus depuis des décennies entre les mafieux et l’Église catholique. Dès la fin de la seconde guerre mondiale, avec la bénédiction des États-Unis, les parrains de Cosa Nostra en Sicile ont remplacé les autorités mussoliniennes. Et l’alliance s’est nouée aussi entre eux et l’Église pour combattre un ennemi commun, le communisme. Cette communauté d’intérêts n’a toujours pas disparu, les mafieux couvrant encore l’Église de ses dons et prébendes.
La courageuse décision de l’actuel pape s’est heurtée aussi à une considération non plus économique, mais religieuse. Certain curé local a dit que l’excommunication serait contreproductive, et empêcherait le bandit, au demeurant lui-même très « religieux » et ainsi marginalisé, de se repentir. On connaît l’adage ecclésial, selon lequel il faut haïr le mal et aimer le méchant – c’est-à-dire lui donner une chance de revenir dans le droit chemin.
Tout cela me laisse bien perplexe. Je soupçonne que beaucoup de ces arguments sont sophistiques. D’abord que dire de profiter des subsides d’une organisation criminelle et se taire en vertu d’une omerta ? Laisser faire, disait Péguy, est pire que faire. Car celui qui fait, il a au moins le courage de faire. Tandis que pour celui qui laisse faire, il y a la lâcheté en plus. L’oubli, l’indifférence, le détournement des yeux, sont choses pires que la franche méchanceté.
Ensuite qu’en est-il de la « religion » à quoi se cramponne l’« Honorable société » ? Le mafieux rend un culte à la Sainte Vierge, se fait un point d’honneur de ne pas tuer un vendredi, jour de la mort du Seigneur. Mais il oublie l’essentiel « Tu ne tueras point ». C’est évidemment d’une religion sur mesure qu’il se réclame, d’une apparence de religion : c’est un pur formalisme.
Et s’abriter comme il l’a fait dans l’émission derrière la loi de Dieu, en faisant mépris de celle des hommes, est une imposture.
Remercions donc le pape actuel d’avoir abandonné une pareille vision théocratique, au nom de laquelle l’Église a pu couvrir les pires crimes dont ceux de pédophilie, pour prendre enfin en compte la loi des hommes. Et espérons que sur ce chemin il sera suivi.
Article paru dans Golias Hebdo,18 juin 2015
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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