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ormalement chez nous l’on n’est responsable devant la justice que de ce qu’on a fait personnellement.
La responsabilité collective n’existe pas, comme le dit le Code pénal : « « Nul n’est responsable pénalement que de son propre fait. » (article 121-1) Le « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère ! » de la Fable disparaît au profit de la seule responsabilité individuelle.
Pourtant les évêques de France, réunis en assemblée plénière à Lourdes, ont envisagé de créer un « fonds spécifique de dotation » pour indemniser les victimes d’actes de pédophilie dans l’Église, qui serait financé par un appel aux dons des catholiques. « Les diocèses ne peuvent pas, juridiquement et financièrement, payer d’eux-mêmes. C’est pour cela qu’on se pose la question de financer le geste par des dons », a précisé le responsable de cette assemblée (Source : L’Express, 05/11/2019).
Derrière ce projet, il y a l’idée que l’Église forme un grand corps, dont tous les membres doivent se sentir solidaires entre eux. C’est pourquoi le fidèle innocent doit payer pour le clerc fautif, en lui venant ainsi en aide. Cette vision existe non seulement chez les catholiques, mais aussi chez les chrétiens orthodoxes. Dostoïevski dit en effet dans Les Frères Karamazov : « Chacun est responsable de tout devant tous » – phrase gravée à l’entrée du musée de la Croix Rouge de Genève. Ce qui compte est la communauté des croyants et les moyens de garantir sa cohésion et sa durée. L’individu compte moins que le groupe. Dans le judaïsme aussi la repentance se fait sur le mode d’un nous, et non pas d’un je. Seul le protestantisme a pu se séparer de cette position, en responsabilisant et incriminant l’individu seul, indépendamment de son groupe. C’est à mon avis une bonne voie.
Car à ce compte-là on pourrait dire aussi, en se plaçant dans la vision traditionnelle, que les pauvres victimes des prêtres agresseurs ont « payé » aussi à leur manière pour leurs bourreaux, selon le principe catholique de la réversibilité des mérites, dérivé du dogme de la Communion des saints. C’est cette idée qui sous-tend toute l’œuvre de Joseph de Maistre, résumée dans la formule : « L’innocent en souffrant ne satisfait pas seulement pour lui, mais pour le coupable, par voie de réversibilité. » On connaît aussi le poème Réversibilité de Baudelaire, dans Les Fleurs du mal, dont le thème est comparable.
Cependant je crois que beaucoup de fidèles vont en être scandalisés de cet écrasement de l’individu au bénéfice d’un idéal strictement communautaire. Pourquoi payer, au sens propre cette fois, pour ce que d’autres ont fait ? « En ces jours-là, on ne dira plus : ‘Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été agacées.’ Mais chacun mourra pour sa propre iniquité ; tout homme qui mangera des raisins verts, ses dents en seront agacées. » (Jérémie 31/29-30)
Article paru dans Golias Hebdo, 14 novembre 2019
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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