E |
lle peut se penser bien sûr dans le cadre religieux traditionnel. Mais j’aimerais qu’on l’envisage désormais en-dehors de ce cadre même.
J’ai trouvé un écho à ce que je pense depuis longtemps sur cette question dans une interview du philosophe Abdennour Bidar, Comment sortir de la religion (LeMondedesReligions.fr, 13 août 2015).
La religion traditionnelle est basée sur l’idée d’une puissance transcendante, antérieure et extérieure à l’homme, qui lui inspire à la fois crainte d’en être puni, et espoir d’en être récompensé. Mais aujourd’hui, selon Bidar, l’homme n’a plus à craindre cet état de dénuement, parce qu’il a son destin entre ses mains : de créature, il devient créateur. J’ai pensé en le lisant au mot de Michelet : « L’homme est son propre Prométhée »
Cependant cette critique radicale de la religion ne vise que celle qui relie l’homme à l’instance extérieure punissante ou rémunératrice, avec laquelle il a passé contrat ou alliance. C’est la religion-lien, si l’on fait venir le latin religio de religare, relier.
Or, comme je l’ai souvent signalé, par exemple dans ma Source intérieure (BoD, 2017), une autre étymologie est possible pour religio, que le grand Cicéron lui-même rattachait à relegere, accueillir respectueusement, et aussi relire. Alors s’éclaire la nouvelle voie, proprement spirituelle dans un sens nouveau : l’intériorisation du divin, qui devient métaphore du désir le plus profond de l’homme.
Sénèque déjà le disait très bien, à l’adresse de Lucilius : « Dieu est proche de toi, avec toi, à l’intérieur de toi ; à l’intérieur de nous est un souffle sacré, qui agit envers nous comme nous envers lui... – Prope est a te deus, tecum est, intus est ; sacer intra nos spiritus sedet ; hic, prout a nobis tractatus est, ita nos ipse tractat. » (Lettre XLI) – Quant à l’Évangile chrétien, il dit exactement la même chose : « Le Royaume est à l’intérieur de vous. » (Luc 17/21).
L’homme se banalisera-t-il désormais dans l’unidimensionnalité, au sens de Marcuse, ira-t-il à vau-l’eau au gré de ses pulsions éparpillantes, acheteuses par exemple dans notre société de consommation, ou bien cherchera-t-il une façon de vivre qui lui donne solidité et unité ? Reconnaîtra-t-il que profondément la structure du désir est un désir de structure ? À cela pourra lui servir la relecture attentive de certains textes religieux traditionnels (mais pas de tous) : certaines paraboles évangéliques, par exemple.
Là est l’enjeu majeur : si l’on s’engage, comme y invite Bidar et comme je le crois nécessaire depuis longtemps, sur la voie d’une spiritualité athée ou laïque, l’homme doit s’y explorer lui-même et voir où est son essence propre. À lui de sauver le divin, trouvé au fond de lui-même.
[v. Combat]
Article paru dans Golias Hebdo, 1e octobre 2015
***
Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
commenter cet article …