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n employé d’une grande distribution risque d’être licencié pour avoir pris six melons et deux salades qu’il a récupérés dans une poubelle du supermarché où il travaillait.
Il vient d’être convoqué pour un entretien de licenciement. La direction prétend qu’il aurait dû faire une demande officielle pouvant autoriser ce qu’il a fait. Faute de quoi cet acte est considéré comme un vol.
Nous voici donc en pleine absurdité. Mieux vaut laisser les légumes pourrir que d’en faire profiter quelqu’un. C’est à la fois comique et tragique. On pense à du Courteline, et à du Kafka. Mais l’enjeu, qui est le chômage possible de cet homme, fait assurément se figer le sourire sur nos lèvres.
Je vois là aussi un signe de la brutalité extrême de notre monde. Ce que la littérature a déjà évoqué, par exemple avec le cas de Jean Valjean envoyé au bagne pour le vol d’un pain, dans Les Misérables de Victor Hugo, se réalise effectivement. Et à côté de cela, combien s’emplissent les poches « légalement », sans être inquiétés le moins du monde !
On se demande, comme le disait déjà Montaigne en faisant parler ses Cannibales, pourquoi dans notre Occident qui se prétend encore chrétien en affirmant la fraternité nécessaire entre tous les hommes, les pauvres ne prennent pas les riches à la gorge, et ne mettent pas le feu à leurs maisons !
Ce qui est intéressant aussi est l’argument évoqué : tout doit se faire légalement, en respectant les formes prévues, ici le dépôt d’une demande d’autorisation pour prélever quelques miettes d’un surplus condamné de toute façon à la destruction.
Le légalisme administratif peut être la pire des choses. On sait bien pourtant que la lettre tue, et que l’esprit vivifie. Et l’adage latin aussi le dit à sa façon : summum jus, summa injuria (plus grand est le droit, plus grande est l’injustice).
Et n’oublions pas non plus que le légal n’est pas toujours le légitime. On le sait depuis l’affrontement entre Antigone et Créon dans la pièce de Sophocle. Pour respecter légalisme et formes, on a même ranimé des condamnés à mort avant de les mener au supplice ! Voyez le film de Kubrick Les Sentiers de la gloire, où on soigne un soldat blessé, accusé de trahison, avant de le fusiller : il faut qu’il soit debout en cette occasion.
On a même été aux États-Unis jusqu’à refuser une cigarette à un condamné à mort juste avant son exécution, au motif que le tabac est mauvais pour la santé ! On voit que l’hygiénisme peut mener à la pire barbarie. [v. Cruauté]
Notre exemple de départ est dans son ordre aussi abject, et on se demande qui peut bien oser encore se prêter à cette sinistre comédie.
Article paru dans Golias Hebdo, 21 juillet 2011
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