Tous nos politiques en espèrent ardemment le retour, pour qu’elle permette une diminution du chômage. C’est un fait que si l’activité de production redémarre, elle occupera ses agents et elle leur permettra de consommer, et ainsi à nouveau tournera la « machine économique ». Le raisonnement semble imparable.
Mais on se demande rarement à quel prix tout cela se fait. La production et l’acquisition effrénées de biens matériels se paie très cher : le pillage des ressources non renouvelables de la planète et la pollution envahissante. Par exemple il existe maintenant un « septième continent » dans le nord-est du Pacifique, où une « soupe de plastique » constituée de déchets s’étend sur une surface d’environ 3,5 millions de kilomètres carrés – près de six fois la superficie de la France : la photo en est très impressionnante (Télérama, 21/05/14, p.11). Je pense au film prémonitoire de Bresson, Le Diable probablement (1977), qui montre l’accumulation de ces gaspillages planétaires et son effet catastrophique dans l’âme du jeune héros du film, poussé ainsi à se suicider. On entend dans le film ce dialogue : « Qui donc nous manœuvre en douce ? – Le Diable probablement. »
Mais à l’origine peut-être de cet acharnement de l’homme à tout exploiter sans frein y a-t-il eu, non pas le Diable, mais ce Dieu même qui intime aux hommes l’ordre de « dominer » la terre et de la « soumettre » (Genèse, 1/28). Ensuite évidemment est venu Descartes, selon lequel nous devons nous rendre « comme maîtres et possesseurs de la nature ». Ces deux pôles fondateurs, qui tournent le dos à l’éloge évangélique de la pauvreté et de l’insouciance, exprimé dans les paraboles connues des oiseaux du ciel et des lys des champs, forment l’âme de l’Occident, et son Hybris, que viendra nécessairement châtier la Némésis d’une apocalypse écologique.
Le problème est évidemment que les autres pays du monde veulent goûter à ce modèle, et goûter à cette « croissance » si mortifère, que ne peut permettre un monde fini dans ses ressources, comme déjà l’avait vu Malthus. Bien sûr il faudrait que tout cela s’arrête dès maintenant, et que s’opère entre pays riches et pays pauvres un partage équitable des richesses. Là serait la sagesse, dans un abandon de notre modèle. Mais qui dira aujourd’hui à nos dirigeants que la croissance n’est pas la solution, mais le problème ?
(Télérama, 21/05/14, p.11)
Nota : Un recueil de toutes les chroniques précédentes, que j'ai données à Golias Hebdo de fin décembre 2008 à début mars 2014, est disponible en version enrichie, assorti de nombreux liens internes et externes facilitant son exploitation, sous forme de livre électronique multimédia :
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