En parodiant Darwin, on peut dire que l’homme descend du songe. Nous sommes bel et bien les fruits de ceux que nous faisons : ils nous construisent et instituent très souvent, nous projettent en avant. Mais le constater est une chose, et vouloir les contrôler en est une autre.
C’est pourtant ce que nous propose un logiciel pour mobile, Dream generator : « Avant d’aller vous coucher, lancez l’appli en lui précisant l’heure à laquelle vous souhaitez vous réveiller, puis placez votre smartphone sur votre matelas : selon vos mouvements, il déterminera vos phases de sommeil paradoxal. Durant celles-ci, il va émettre des sons évoquant Tahiti, Moorea… et tenter ainsi d’orienter vos songes. Au réveil, une photo de votre destination nocturne s’affichera sur votre mobile. » (Source : O1net, « Magazine de la High-Tech plaisir », n°802, du 7 août au 3 septembre 2014)
On connaissait déjà l’hypnopédie, technique prémonitoire inventée par Huxley dans Le Meilleur des mondes (1931) : l’esprit de chaque dormeur devra être modelé dès l’enfance par des injonctions qui feront de lui un petit mouton obéissant à la doxa imposée par Big Brother, figure archétypale de tout régime totalitaire. L’esclavage y est imposé de l’extérieur, à l’insu du sujet. Mais ici chaque individu peut se conditionner volontairement, par une technique comparable au « flashage » décrit par Alain Jessua dans son film Paradis pour tous (1982). Pour lutter contre l’angoisse et le gris de leur vie, les hommes trouvent dans cette drogue un exutoire provisoire. La fin du film d’ailleurs dit qu’ils sont heureux, « comme des bêtes ». Ne dit-on pas d’ailleurs : « Heureux comme un poisson dans l’eau » ? Mais la mémoire du poisson n’excède pas, je crois, une poignée de secondes…
Cette « appli » me fait penser aussi au film Eternal Sunshine of the Spotless Mind, de Michel Gondry (2004), sur la possibilité de l’effacement volontaire dans l'esprit des souvenirs désagréables. Je ne sais si elle fonctionne vraiment. L’important est l’intention qui a présidé à son élaboration : le bonheur peut se donner sur commande, et on peut le diriger, en réduisant au maximum les aléas qui le mettraient en péril. Or le bonheur, s’il est lié à un certain état d’esprit (en grec, eudaimonia), comporte aussi de l’imprévisible, du hasard (eutycheia). Il est lié à ce qui arrive, happiness, what happens, et cela est indépendant de notre volonté : on ne peut pas le contrôler, il me semble, même avec toutes les « applis » et toutes les prothèses techniques du monde !
Nota : Un recueil de toutes les chroniques précédentes, que j'ai données à Golias Hebdo de fin décembre 2008 à début mars 2014, est disponible en version enrichie, avec regroupement thématique des notions, et assorti de nombreux liens internes et externes facilitant son exploitation, sous forme de livre électronique multimédia :
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