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On en a vu un il y a quelques jours se promenant en liberté dans la campagne de Seine-et-Marne. La radio a immédiatement recommandé aux enfants de ne pas sortir, et aux adultes de ne se déplacer qu’en voiture. Elle a tout de même précisé qu’on ne savait pas d’où il venait, s’il s’était échappé d’un cirque, etc. Deux cents policiers et gendarmes ont été mobilisés à cette occasion, et des spécialistes des félins appelés à la rescousse. J’imagine le frisson que toutes ces informations alarmistes ont dû produire chez les habitants de ce pays.
Eh bien, ce fut à tort. Car après de nouvelles analyses réalisées par l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) et le Parc des félins, un zoo spécialisé du département, des examens plus poussés des empreintes ont montré que l’animal, qui aux dernières nouvelles court toujours à une quarantaine de kilomètres à l’est de Paris, est un félin de petite taille, bien loin du fauve menaçant qu’on redoutait. Même la piste du lynx a été exclue. Selon l’ONCFS, le seul félin présent à l’état sauvage en Seine-et-Marne est un « chat forestier », un animal inoffensif qui ressemble à un gros matou (Source : 6Medias, 15/11/2014).
Ce m’est ici l’occasion de réfléchir au pouvoir amplificateur de l’imagination, que Pascal appelait une « puissance trompeuse ». Vue de loin, n’importe quelle bête, telle celle du Gévaudan, peut sembler un monstre. Les Latins le disaient bien : Major e longinquo reverentia – La considération augmente avec la distance. Puis la contagion de la peur fait le reste. Et au lieu de s’assurer de la réalité des faits, on va toujours aux supputations sur les causes, comme Fontenelle l’a montré dans son Histoire des Oracles, avec le fameux épisode de la Dent d’or.
Ce tigre n’était donc qu’une projection imaginaire d’individus apeurés. Il pourrait faire la matière d’une fable, qu’on pourrait aussi appliquer aux hommes, comme La Fontaine le fait dans Le Chameau et les bâtons flottants : « J’en sais beaucoup de par le monde / À qui ceci conviendrait bien : / De loin, c’est quelque chose, et de près ce n’est rien. » (Fables, IV, 10) Combien de puissants de ce monde ne sont que des « tigres de papier » ! Ils n’ont de stature que celle que nous leur donnons. Comme le dit La Boétie : « Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. » Ce sont nos peurs, nos projections, qui créent notre obéissance. Merci donc à ce « tigre » inopiné, qui m’a permis une réflexion politique !
Nota : Un recueil de toutes les chroniques précédentes, que j'ai données à Golias Hebdo de fin décembre 2008 à début mars 2014, est disponible en version enrichie, avec regroupement thématique des notions, et assorti de nombreux liens internes et externes facilitant son exploitation, sous forme de livre électronique multimédia :
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