Solitude et autarcie
« Le bonheur, dit Épictète, appartient à ceux qui se suffisent à eux-mêmes. » Le terme grec qu’il emploie est autarkos, qui a donné : autarcie. Je sais bien que cette attitude peut surprendre. On nous a tellement dit qu’il faut dans la vie se dévouer aux autres, et que la rencontre de l’autre doit nous permettre de nous décentrer de nous-mêmes ! Je pense que c’est exactement le contraire. Seul un être qui s’est réuni à lui-même en solitude, qui s’est centré, peut ensuite s’ouvrir aux autres et communiquer avec eux de façon harmonieuse, avec écoute vraie et sans projections ou attentes d’aucune sorte.
L’autarcie n’est pas un narcissisme complaisant, elle est un travail sur soi. Elle n’isole pas, elle est un préalable ou une propédeutique à la vraie rencontre d’autrui. Il est bien vrai que l’homme est un être social, et que la relation avec autrui est fondamentale dans la vie. Mais c’est précisément l’autarcie qui permet une bonne socialisation.
Voyez par exemple combien les promeneurs solitaires sont capables, lorsqu’ils rencontrent quelqu’un, de s’arrêter et prendre le temps d’engager une conversation, en écoutant l’autre, en faisant attention à lui. Tous les randonneurs vous le diront. Il y a d’ailleurs là comme un paradoxe. Moins on rencontre de personnes quand on se promène, plus on salue celles que l’on croise, et plus volontiers on leur adresse la parole. La solitude ainsi favorise mieux la socialisation, le contact vrai avec les autres. – Et à l’inverse, dans la cohue des villes, les êtres agités et courant frénétiquement à des occupations qui les aliènent frôlent les autres sans se rendre compte même qu’ils existent. Ce sont eux qui véritablement sont isolés, sans doute pour ne pas préalablement s’être fait face à eux-mêmes, en solitude.
Il faut en effet bien faire une différence fondamentale entre solitude et isolement. Si la première est nécessaire et féconde, le second est catastrophique. Il faut lutter évidemment contre lui, en se socialisant le plus possible. Mais pas à n’importe quel prix. Et surtout pas en refusant de faire l’expérience de sa propre solitude.
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