À propos de la loi contre le séparatisme préparée par notre gouvernement, Jean-Luc Mélenchon a parlé de « stigmatisation ». Il a voulu dire par là qu’elle attaquait la communauté musulmane de notre pays.
Eh bien, c’est là faire un procès d’intention, instruire un procès en sorcellerie. Et c’est aussi allumer des incendies çà et là. Le garde des Sceaux lui a bien répondu (FR2, 20H, 05/02/2021) : si un jeune des quartiers qu’on dit difficiles prend cette parole pour argent comptant, il va se sentir lui-même stigmatisé, et découragé dans ses éventuelles tentatives d’insertion dans la communauté française ; pourquoi alors n’irait-il pas se réfugier dans telle communauté confessionnelle et pour le coup effectivement séparatiste, qui l’accueillera mieux ?
Le mot de J-L. Mélenchon n’est sans doute pas lui-même dépourvu d’intention. Mais ce n’est pas la première fois que ce type de procès est fait. Ainsi il y a peu le mot d’« ensauvagement » employé de façon banale par une journaliste débattant sur Arte a suscité l’ire d’un intellectuel parisien de gauche, qui a vu « évidemment » une attaque toujours contre cette même communauté « stigmatisée ». Tout le monde comprend, a-t-il dit, que si l’on emploie ce seul mot, c’est cela qu’il faut voir. Autrement dit : suivez mon regard, et comprenez bien ce qui se cache derrière ce mot !
Eh bien, quant à moi, je suis sans doute plus bête que lui, mais je n’avais pas compris cela. Pour moi, « ensauvagement » visait simplement cette montée de la sauvagerie que chacun peut constater autour de lui, et qui n’est le fait d’aucune population particulière, puisqu’elle participe de toutes. Que ce mot ait pu être employé à l’extrême-droite ne signifie pas, si on l’emploie, qu’on adhère à l’extrême-droite.
Viser derrière des mots l’intention supposée maligne ou dissimulatrice du locuteur est du terrorisme intellectuel. Lors des assemblées de mai 1968, on a entendu des phrases comme : « D’où parles-tu ? », ou : « De qui es-tu le sous-marin ? » Autrement dit ce qui comptait n’était pas ce qui était dit, mais si on était, ou non, dans la ligne de pensée obligée.
Cette vision est totalitaire, et biaise dès lors tout langage, instrumentalise le sens et le pouvoir réel des mots, dans l’emploi desquels il faut refuser de voir autre chose que ce qu’ils disent naturellement. Ionesco a bien raison, quand il dit : « Seuls les mots comptent. Tout le reste n’est que bavardage. »
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Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils ont cependant un contenu intemporel, et se prêtent toujours à une réflexion philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).
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