Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
7 février 2021 7 07 /02 /février /2021 02:01

À propos de la loi contre le séparatisme préparée par notre gouvernement, Jean-Luc Mélenchon a parlé de « stigmatisation ». Il a voulu dire par là qu’elle attaquait la communauté musulmane de notre pays.

 

Eh bien, c’est là faire un procès d’intention, instruire un procès en sorcellerie. Et c’est aussi allumer des incendies çà et là. Le garde des Sceaux lui a bien répondu (FR2, 20H, 05/02/2021) : si un jeune des quartiers qu’on dit difficiles prend cette parole pour argent comptant, il va se sentir lui-même stigmatisé, et découragé dans ses éventuelles tentatives d’insertion dans la communauté française ; pourquoi alors n’irait-il pas se réfugier dans telle communauté confessionnelle et pour le coup effectivement séparatiste, qui l’accueillera mieux ?

 

Le mot de J-L. Mélenchon n’est sans doute pas lui-même dépourvu d’intention. Mais ce n’est pas la première fois que ce type de procès est fait. Ainsi il y a peu le mot d’« ensauvagement » employé de façon banale par une journaliste débattant sur Arte a suscité l’ire d’un intellectuel parisien de gauche, qui a vu « évidemment » une attaque toujours contre cette même communauté « stigmatisée ». Tout le monde comprend, a-t-il dit, que si l’on emploie ce seul mot, c’est cela qu’il faut voir. Autrement dit : suivez mon regard, et comprenez bien ce qui se cache derrière ce mot !

 

Eh bien, quant à moi, je suis sans doute plus bête que lui, mais je n’avais pas compris cela. Pour moi, « ensauvagement » visait simplement cette montée de la sauvagerie que chacun peut constater autour de lui, et qui n’est le fait d’aucune population particulière, puisqu’elle participe de toutes. Que ce mot ait pu être employé à l’extrême-droite ne signifie pas, si on l’emploie, qu’on adhère à l’extrême-droite.

 

Viser derrière des mots l’intention supposée maligne ou dissimulatrice du locuteur est du terrorisme intellectuel. Lors des assemblées de mai 1968, on a entendu des phrases comme : « D’où parles-tu ? », ou : « De qui es-tu le sous-marin ? » Autrement dit ce qui comptait n’était pas ce qui était dit, mais si on était, ou non, dans la ligne de pensée obligée.

 

Cette vision est totalitaire, et biaise dès lors tout langage, instrumentalise le sens et le pouvoir réel des mots, dans l’emploi desquels il faut refuser de voir autre chose que ce qu’ils disent naturellement. Ionesco a bien raison, quand il dit : « Seuls les mots comptent. Tout le reste n’est que bavardage. »

 

D.R.

 

***

 

Ce texte est paru dans le journal Golias Hebdo. D'autres textes comparables figurent dans l'ouvrage suivant, dont on peut feuilleter le début (Lire un extrait), et qu'on peut acheter sur le site de l'éditeur (Vers la librairie BoD). Le livre est aussi disponible sur commande en librairie, ou sur les sites de vente en ligne.

Petite philosophie de l'actualité
Théron, Michel
15,00Livre papier
Lire un extrait

DESCRIPTION

Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils ont cependant un contenu intemporel, et se prêtent toujours à une réflexion philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).

Pour voir l'ensemble des volumes parus dans cette collection, cliquer ici.

 

 

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

T
On ne peut qu'être d'accord avec ta condamnation du "terrorisme intellectuel" manifesté par toutes ces réactions de l'ordre de la "sémantique", comme on dit malencontreusement, à propos du terme d'"ensauvagement". Je ne suis pas sûr, toutefois, que notre ministre de l'Intérieur ait fait un choix judicieux en retenant un terme déjà fortement lesté, et qui surtout paraît s'appuyer sur une véritable analyse sociologique. Or, si certaines formes de violence paraissent en progrès (mais il faudrait pour le confirmer des études sérieuses, et le terrorisme, guerrier lui, doit être traité à part, même si ce n'est pas toujours aisé), sont-elles vraiment le signe d'une évolution profonde, d'une mutation civilisationnelle régressive, vraisemblablement irréversible, ce que dit nommément le mot, ou révèlent-elles seulement des déficits organisationnels régaliens ? Dans le premier cas, le problème échapperait au ministre et à ses services; il garderait toutes ses chances dans le second.<br /> Je ne crois pas qu'un ministre gagne quoi que ce soit à sortir de son rôle, y compris dans la parole, dont tu soulignes très justement l'énorme pouvoir.
Répondre
W
Merci de ces remarques très fines. A propos d'"ensauvagement", je crois que c'est J-P. Chevènement qui avait parlé le premier de "sauvageons". L'emploi de ces mots doit être discuté sereinement et objectivement, indépendamment de savoir qui le prononce et à quel parti il appartient. Mais le débat est pollué quand on fait intervenir ces dernières perspectives.

Présentation

  • : Le blog de michel.theron.over-blog.fr
  • : "Mélange c'est l'esprit" : cette phrase de Paul Valéry résume l'orientation interdisciplinaire de mon blog. Dans l'esprit tout est mêlé, et donc tous les sujets sont liés les uns aux autres. - Si cependant on veut "filtrer" les articles pour ne lire que ce qui intéresse, aller à "Catégories" dans cette même colonne et choisir celle qu'on veut. On peut aussi taper ce qu'on recherche dans le champ "Recherche" dans cette même colonne, ou encore dans le champ : "Rechercher", en haut du blog - Les liens dans les articles sur le blog sont indiqués en couleur marron. Dans les PDF joints, ils sont en bleu souligné. >>>>> >>>>> Remarque importante (avril 2021) : Vous pouvez trouver maintenant tout ce qui concerne la Littérature, la Poésie et l'Art dans mon second blog, "Le blog artistique de Michel Théron", Adresse : michel-theron.eu/
  • Contact

Profil

  • www.michel-theron.fr
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).

Recherche

Mes Ouvrages