J’attache beaucoup d’importance aux termes qu’on emploie, à leur pertinence à ce qu’on veut désigner. Des déviations de sens jettent la confusion dans les esprits individuels, et ensuite au sein du corps social tout entier, quand les mots sont répétés machinalement, par psittacisme, très souvent par imitation des journalistes « faiseurs d’opinion ».
Je prendrai ici seulement deux exemples. D’abord le mot de « grève ». Il n’y a grève que lorsqu’on cesse le travail pour lequel on est payé, dans l’espoir par exemple d’un meilleur salaire : mais ce faisant, on assume le risque de le voir amputé. On comprend d’ailleurs que la décision de la faire soit difficile à prendre, et que beaucoup même y renoncent pour cette raison. Or aujourd’hui on confond grève et manifestation. Par exemple on parle de « grèves » de lycéens ou d’étudiants. L’absurdité est patente. Élèves et étudiants bénéficient d’un service : littéralement ils ne travaillent pas, ils coûtent, la plupart du temps à la collectivité, qui paie leurs études. C’est comme si les usagers d’un service public, mettons les voyageurs d’un bus, d’un tram, d’un train, décidaient de ne pas y monter : certes libre à eux, mais il n’y a aucun sens alors à parler de « grève ». De la même façon lorsque les routiers bloquent les routes avec leurs camions : ils manifestent, ils ne font pas grève. La grève serait de laisser les camions au dépôt, et ce faisant de perdre le salaire afférent à la cessation du travail.
Le second exemple est le mot d’« antisémitisme ». On le confond la plupart du temps avec celui d’« antijudaïsme ». Mais ce dernier seul convient dans le cas précis de l’hostilité vis-à-vis des juifs. Il est absurde de dire par exemple que les Arabes sont antisémites, puisque ce sont eux-mêmes des sémites ! Plus sournois, mais très répandu aussi, est le fait de confondre « antisionisme » et « antijudaïsme », d’y voir des synonymes : or on peut très bien être hostile à la politique actuelle de l’état d’Israël, mais non aux juifs eux-mêmes.
Comme on parle d’écologie à propos de la nature, il en faudrait une concernant l’esprit. En n’accordant à chaque mot que le sens précis qui lui convient, on éviterait cette « bouillie verbale » généralisée, dont la conduite des affaires humaines, ce qui est proprement la politique, subit aussitôt les fâcheuses conséquences.
Nota : Un recueil de toutes les chroniques précédentes, que j'ai données à Golias Hebdo de fin décembre 2008 à début mars 2014, est disponible en version enrichie, assorti de nombreux liens internes et externes facilitant son exploitation, sous forme de livre électronique multimédia :
Cliquer sur l'image
commenter cet article …