Voici la préface qu'André Gounelle a écrite pour ce livre :
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Préface à La Source intérieure
Ce livre nous invite à une conversion, au sens propre du mot : à un renversement du regard et à un retournement de l’attitude. Nous avons l’habitude, spontanée ou acquise, je ne sais, de chercher la vérité au dehors ou d’attendre qu’elle nous vienne de l’extérieur. Les religions la situent volontiers dans une révélation surnaturelle, tandis que ceux qu’on nomme pragmatistes, réalistes, voire scientistes s’efforcent le plus souvent de la découvrir par l’observation et l’analyse des choses. Au contraire, ici on nous appelle à nous tourner vers l’intériorité, à entrer en nous-mêmes afin d’y découvrir sinon la vérité, du moins notre vérité, notre authenticité, un sens qui vienne donner une paisible lumière et une douce chaleur à notre existence parce qu’il la constitue. La source ne se trouve pas ailleurs mais en nous, et notre pèlerinage nous conduit au plus profond de nous-mêmes ; il nous fait explorer l’intime, parcourir le familier. Comme dans une parabole évangélique, le trésor se trouve dans notre champ, et non dans des pays lointains et étrangers.
Ne croyez pas que cette démarche conduise à se replier sur soi-même, à mépriser les autres, et à s’imaginer prétentieusement qu’on se suffit à soi-même. Elle implique bien une pratique de la solitude (« Heureux les solitaires », dit Jésus d’après l’Évangile de Thomas). La suivre exige qu’on ne se contente pas de se fier à l’opinion publique, de répéter et de citer. Le pèlerin de l’intériorité a une parole personnelle et se prononce en son nom. Il vit la religion comme lecture de soi et recueillement en soi, et non comme lien d’asservissement ou de sujétion à une communauté ou à des autorités. Mais il importe de distinguer la solitude positive, qui se nourrit de relations et d’écoute sans se laisser absorber par elles, de l’isolement négatif de celui qui ne pratique ni l’échange ni la rencontre, et s’enferme dans un monologue égocentrique. À chaque page, Michel Théron, amoureux de la littérature et des mots (et aussi d’images, de films et de musiques) dialogue avec des auteurs et des textes écrits, visuels ou auditifs. Le langage parlé, regardé, entendu n’est pas seulement un outil pour s’exprimer ; il est aussi une atmosphère que nous respirons, une lumière qui colore gens et choses, et une sagesse qu’il nous faut méditer. Cette noblesse de la parole, le prologue de Jean la souligne ; au commencement, ou, plutôt, au principe, est la parole ; l’ultime ou le divin est en elle, se dit en elle. Les mots ne se réduisent pas à des formes vides ou à des référents qui ne vaudraient que par ce qu’ils désignent. Ils portent et transmettent un contenu intrinsèque. Comme l’écrit justement Herder, à côte de sa fonction instrumentale, une langue est « un vaste jardin de concepts, parsemé d’arbres et de plantes, qui empoisonnent ou guérissent, nourrissent ou décharnent ». Le pèlerin de l’intériorité chemine dans un jardin linguistique et littéraire, cultivant ce que d’autres ont planté, et y ajoutant des fruits et des aromates originaux, cherchant inlassablement à travers les mots la parole, source de vie ou vie à sa source.
Dans ces paroles reprises, utilisées comme semences de la pensée, on remarquera la place importante de celles du Nouveau Testament. Leur poids tient à ce qu’elles disent ; il ne vient pas de ce qu’elles se trouvent dans un recueil canonique ou de ce que Jésus les ait prononcées. Ces paroles ont sens et densité en elles-mêmes, par leur pertinence intrinsèque. L’autorité de Jésus ne garantit pas la vérité de ses enseignements et de sa prédication ; au contraire, la pertinence de ses propos, l’écho qu’ils trouvent en nous, leur capacité à nous éclairer et à nous faire vibrer confèrent du poids à Jésus. Comme l’écrit le philosophe Alain, « ce qui importe ce n’est pas si Jésus a dit telle chose tel jour, mais que cette chose soit vraie ». « Jésus n’est que sa propre parole » souligne Michel Théron, rejoignant par un chemin différent la thèse d’un autre professeur montpelliérain, Michel Henry (Paroles du Christ). On mesure la divergence d’avec les « symboles » traditionnels des Églises, celui de Nicée-Constantinople, celui dit des Apôtres (Michel Théron leur a consacré une belle étude, Les deux visages de Dieu), qui passent complètement sous silence les paroles de Jésus. Par contraste, les recueils de « dits » de Jésus, tels l’Évangile de Thomas ou les logia, que les spécialistes appellent Q (initiale de Quelle, en allemand la Source, parce que ce recueil est l’une des sources des évangiles canoniques), indiquent une attitude autre. Le titre de ce livre, La Source intérieure, renvoie certes à la source intime de l’existence, mais aussi à cette « source Q », longtemps méconnue ou inaperçue, qui retient de Jésus essentiellement ses paroles.
Mon estime et mon amitié pour Michel Théron ne signifient pas que je partage toutes ses thèses et ses opinions. Mais ces désaccords m’importent peu. Plus que de discuter ses idées, j’aime converser avec lui et avec ses écrits. Ce livre m’a charmé et enrichi, il a stimulé ma réflexion et ma méditation. Même là où les cheminements diffèrent, il m’a souvent enchanté, car le souci de la beauté l’anime autant que celui de la vérité, et toujours il m’a apporté, aidé. Je suis sensible à son étonnant mélange de sérieux et d’humour, de profondeur et de jeu, de bienveillance et de polémique. Je lui en ai une très grande reconnaissance, une reconnaissance que, je le pense et l’espère, éprouveront tous les lecteurs de ces pages d’une qualité exceptionnelle.
André Gounelle