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24 septembre 2022 6 24 /09 /septembre /2022 01:00

O

n sait qu’une simple expression, une phrase seule peuvent prendre différents sens suivant le contexte dans lequel elles figurent.

 

Il y a à cet égard une phrase attribuée au cardinal de Richelieu : « Donnez-moi deux lignes de quelqu’un et je le ferai pendre. » Il y a donc danger à extraire une phrase de son contexte, et à ne la considérer que comme seule.

 

C’est le cas de la phrase très connue de la première lettre de Jean, dont se gargarisent beaucoup de chrétiens : « Dieu est amour. » Rien de plus beau assurément, de plus invitant ou engageant.

 

Mais il est bon de lire le passage de 1 Jean 4/8-10 en entier, en notant bien les inflexions ou changements d’idée de verset en verset : « Celui qui n’aime pas n’a pas connu Dieu, car Dieu est amour (v.8). L’amour de Dieu a été manifesté envers nous en ce que Dieu a envoyé son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui. (v.9)  Et cet amour consiste, non point en ce que nous avons aimé Dieu, mais en ce qu’il nous a aimés et a envoyé son Fils comme victime expiatoire pour nos péchés. (v.10) »

 

On peut recevoir le v.8, et l’on peut même admettre l’inversion hérétique du « Dieu est amour » en « L’amour est Dieu » (en grec on ne peut pas le faire, car l’attribut n’y a pas d’article : Ho theos agapè estin – mais en latin on le peut : Deus est caritas peut se lire des deux façons). On peut recevoir aussi comme essentiel et décisif le v.9, en y comprenant que le message ou la parole de Jésus peut effectivement nous faire vivre. Mais est-on obligé d’admettre le v.10, qui contient la théologie, barbare pour beaucoup, de la victime expiatoire (hilasmos) ?

 

Pour les Sociniens, par exemple, si Dieu a été effectivement payé du sacrifice de son Fils, il n’a pas pardonné, car le pardon suppose qu’on efface une dette, non qu’on la recouvre. Le créancier a été remboursé : que dire de plus ?

 

De cette phrase décontextualisée viennent toutes les incantations triomphalistes, aveuglées et bondieusardes qu’on nous donne sur l’amour, et qui fleurissent encore chez les bien-pensants, et jusque sur les sites de « spiritualité » sur Internet. Quand on a prononcé ce mot, « Dieu est amour », on a tout dit, et on pense que cela suffit à clore définitivement la bouche à tout contradicteur. Assurément cette cer­titude rassure, et on s’y réfugie.

 

Que ne lit-on, pourtant, ce texte en entier ? Ou alors que n’en a-t-on fait le lifting, et fait disparaître la fin si contestable ? – Mais il est plus confortable de s’étourdir de l’amour, plutôt que de réfléchir sur la singulière façon dont ici il est présenté.

 

[v. Amour]

 

Article paru dans Golias Hebdo, 21 octobre 2010

 

D.R.


***

 

Cet article est extrait de mon ouvrage en deux tomes Chroniques religieuses, édité chez BoD. On peut les feuilleter en cliquant ci-dessous sur Lire un extrait. Et on peut les acheter sur le site de l'éditeur en cliquant sur Vers la librairie BoD :

 

Chroniques religieuses
Théron, Michel
14,00Livre papier
Lire un extrait

DESCRIPTION

Les textes composant cet ouvrage sont une sélection d'articles parus dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils concernent toujours directement ou indirectement des sujets ayant trait à la religion et à la spiritualité. Vu leur brièveté (deux pages), on peut en faire une lecture picorante et fragmentée. Ce livre n'est pas un traité systématique, mais un recueil familier permettant de petites méditations quotidiennes sur des sujets concrets.

Chroniques religieuses
Théron, Michel
16,00Livre papier
Lire un extrait

DESCRIPTION

Les textes composant cet ouvrage sont une sélection d'articles parus dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils concernent toujours directement ou indirectement des sujets ayant trait à la religion et à la spiritualité. Vu leur brièveté (deux pages), on peut en faire une lecture picorante et fragmentée. Ce livre n'est pas un traité systématique, mais un recueil familier permettant de petites méditations quotidiennes sur des sujets concrets.

 
 
 
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22 septembre 2022 4 22 /09 /septembre /2022 01:00

J’

adore les vieux livres. Ils recèlent parfois des pépites inattendues, dont on peut faire son miel.

 

J’ai acquis l’autre jour au marché aux puces de ma petite ville le Manuel du confesseur, de saint Alphonse de Liguori, en latin : Praxis Confessarii, édité à Lyon en 1804. On en trouvera le texte entier sur Internet, en tapant le titre latin dans le moteur de recherche. Mais je ne résiste pas au plaisir de vous en traduire quelques petits extraits.

 

Comment d’abord confesser un sourd-muet ? Il faut « l’amener en quelque endroit retiré, et lui demander de donner quelques signes de ses péchés et de son repentir, de la meilleure façon possible » : page 154. En clair, comme il ne peut parler, il faut lui faire mimer ce qu’il a fait. J’ima­gine d’ici la scène, qui peut avoir quelque sel, surtout en pensant à ce « de la meilleure façon possible ».

 

Comment maintenant le confesseur doit-il s’y prendre avec un condamné à mort ? Il faut d’abord lui représenter que cette mort qui l’attend est « un cadeau de Dieu qui veut par là faire son salut » ; lui dire aussi « que nous devons tous sortir de ce monde éphémère, afin de parvenir à une éternité qui, elle, n’a pas de fin » : page 158.

 

Quand il monte à l’échafaud, il faut, en lui prodiguant de lénifiants discours, par exemple sur la passion rédemptrice du Christ, faire en sorte qu’il montre des signes de son repentir.

 

Mais si ce n’est pas le cas, s’il s’obstine, alors « il pourra être utile de lui faire peur, disant : ‘Descends, maudit, en Enfer, puisque tu veux causer ta propre perte. Mais sache que ton châtiment en Enfer sera plus terrible que le souvenir de cette vie que Dieu t’a donnée et dont tu n’as pas su faire bon usage.’ » : pages 161-162.

 

Là aussi j’imagine la scène, et l’effet que peuvent produire de telles paroles sur l’âme du pauvre diable dans l’instant même où il est confronté à ce qui l’attend et qu’il a devant les yeux.

 

Un esprit mieux disposé que le mien dira qu’à cette époque la croyance aux supplices de l’Enfer était forte, que le salut de l’âme comptait beaucoup plus que celui du corps, et que de telles objurgations procédaient d’une intention philanthro­pique : c’était vraiment prendre soin de quelqu’un que le menacer ainsi.

 

À quoi je répondrai qu’il faut que la foi soit bien aveugle, pour aller jusqu’à manquer, par un tel comportement, de la plus élémentaire humanité.

 

Comment une religion de l’amour a-telle pu produire de telles attitudes ? Canoniser celui qui les a décrites, et dont se réclame par exemple la tradition rédemptoriste ? A-t-elle changé aujourd’hui ? On peut l’espérer. Mais restent des témoignages accablants. Et encore ne sont-ce là que deux extraits de ce long et méticuleux livre, dont on ne sait ce qui l’emporte finalement, du ridicule ou de l’odieux.

 

Article paru dans Golias Hebdo, 18 février 2010

 

D.R.

***

 

Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer : ici.

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20 septembre 2022 2 20 /09 /septembre /2022 01:00

E

lle n’est pas toujours raison, car elle doit se baser sur une vraie analogie de fond, et non sur une ressemblance formelle.

 

Je viens de penser à cette règle en lisant çà et là des comparaisons suivies entre un chanteur et danseur pop récemment décédé* et la figure de Jésus-Christ.

 

Une chose est de faire se trémousser en cadence sur des musiques répétitives, et une autre de faire réfléchir par un vrai enseignement invitant à l’introspection. Même un slogan aussi simpliste que le We are the world, we are the children ! ne fait pas il me semble un vrai prophète de celui qui le chante et l’impose au monde entier par simple contagion émotionnelle.

 

Le refus de grandir même, le fameux complexe de Peter Pan, n’a rien à voir avec le choix évan­­gélique des petits enfants : dire le contraire, c’est confondre l’enfant spirituel, que l’Évangile appelle de ses vœux, et l’enfant infantile, qu’il condamne.

 

Sinon on ne peut comprendre que Jésus à la fois fasse l’éloge des petits enfants à qui appartient le royaume, et condamne radicalement la nostalgie, le désir de régression : « Quiconque met la main à la charrue et regarde en arrière n’est pas propre au royaume de Dieu. » (Luc 9/62). [v. Nostalgie]

 

Notre idole est restée dans l’infantilisme, et ses fans aussi y demeureront, tant que l’émotion au cœur des hommes l’emportera sur la réflexion. Nul doute qu’un culte va s’établir là-dessus, comme naguère sur la mort d’Elvis Presley.

 

... De toute façon, nous dit-on aujourd’hui, l’im­portant est de faire rêver, et on déplore que le christianisme lui-même ne le fasse plus. Mais il est très facile de le faire : n’importe quelle star du show-biz ou du foot, dont le salaire est une insulte au spectateur moyen qui la fait vivre par sa dévotion, peut aussi « faire rêver ». Ce qui compte, ce n’est pas le rêve, mais le contenu du rêve.

 

... Appelons donc de nos vœux, non pas un retour de la religion vue comme un lien ou une liaison (religare), qui dans sa modalité horizontale (notre rapport aux autres) peut si elle n’est pas bien gérée nous arracher à nous-mêmes en nous fondant aveuglément dans un groupe, mais de la religion comprise comme relecture ou recueillement, accueil de l’Essentiel en soi (rele­gere), qui nous fait d’abord nous découvrir nous-mêmes avant d’aller vers les autres : ce n’est pas en dansant que nous le pourrons.[1]

 

* Michael Jackson

 

Article paru dans Golias Hebdo, 16 juillet 2009

 

[1] Ces deux façons de voir la religion sont illustrées dans  mon ouvrage La Source intérieure, éd. BoD, 2017.

 

D.R.
D.R.
 

Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer : ici.

 

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).

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