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7 avril 2023 5 07 /04 /avril /2023 01:00

« U

ne relique contenant un fragment d’étoffe en lin ‘taché du sang de Louis XVI’, conservée dans un cercueil miniature en acajou et ébène sculpté, a été adjugée mercredi 18.738 euros à l’Hôtel Drouot à Paris. » (Source : A.F.P., 03/04/2013)

 

Le royal acquéreur ici a incarné une pulsion bien humaine, que je peux appeler « scopique » (désir de voir), et « haptique » (désir de toucher), celle même qui habita l’apôtre Thomas. Pour garantir sa foi dans la résurrection de Jésus, il voulut voir ses plaies et y mettre le doigt, s’attirant la phrase bien connue : « Parce que tu m’as vu, tu as cru. Heureux ceux qui n’ont pas vu, et qui ont cru ! » (Jean 20/29) À quoi bon en effet voir et toucher, si la certitude est intérieure ? Comme dit saint Paul : « Nous marchons par la foi, non par la vue. » (2 Corinthiens 5/7)

 

Mais quel besoin avait notre nouveau dévot de conforter ce que tout le monde sait (la décapitation d’un roi) par l’acqui­sition au demeurant fort onéreuse d’une preuve visible et tangible ? Bien hasardeuse aussi, puisqu’au dire d’un expert, selon la même source, pour être sûr que le sang est bien celui du roi il faudrait en faire une analyse ADN, ce qui n’a pas été fait.

 

L’Église a condamné pour avoir fait trafic des choses sacrées Simon le Magicien : d’où le péché de simonie. Mais elle n’a pas pratiqué elle-même ce qu’elle a dit, et n’a pas obéi à la parole précitée de Jésus à l’adresse de Thomas. Elle a opéré sans vergogne un trafic généralisé de reliques, qui se sont multipliées de façon exorbitante et à l’arrivée totalement cocasse, comme Calvin l’a montré dans son Traité des reliques, chef-d’œuvre d’iro­nie mordante.

 

Évidemment c’est la Réforme qui a raison : la foi dans toute sa pureté n’a que faire de preuves tirées du monde visible, car elles ruinent toute espérance : « Car c’est en espérance que nous sommes sauvés. Or, l’espérance qu’on voit n’est plus espérance : ce qu’on voit, peut-on l’espérer encore ? » (Romains, 8/24)

 

… Mais cette rigueur est difficile à pratiquer humainement. Qui de nous n’a pas, dans son reliquaire personnel, gardé de l’être aimé, présent ou absent, mèche de cheveux, vieille lettre, photographie jaunie, etc. ? Qui n’a vu dans ces souvenirs l’encouragement à repartir sur son chemin de vie, et la permission d’un avenir ?

 

Au fond, libre à certains, s’ils y trouvent plaisir, de dépenser des fortunes pour une relique même bien aléatoire, et même de se laisser gruger par ceux qui en font trafic… Comme dit très profondément Valéry : « L’esprit n’est pas si pur que jamais idolâtre. »

 

Article paru dans Golias Hebdo, 25 avril 2013

 

D.R.

 

***

 

Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.

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5 avril 2023 3 05 /04 /avril /2023 01:00

C’

est la bête noire du pape actuel. Manifestement il appelle à rester inébranlable dans la foi qu’on a reçue, et à ne pas céder aux sirènes d’autres religions ou spiritualités, pas plus qu’à l’agnosticisme ou à l’athé­is­­me : toutes ces positions à l’en croire ne se valent pas.

 

Sans doute ne peut-il rien dire d’autre, puisqu’il tire son existence même de ce qu’il préconise, qu’il y aurait grand danger pour lui à révoquer en doute. Cela me rappelle une parole cynique d’un professeur de théologie : « Il faut bien que Dieu existe, puisque j’en vis ! »

 

Mais plus profondément, il me semble qu’on ne peut nier que cette foi qu’on nous propose nous a été imposée par les contingences mêmes de notre naissance. La parole de mon cher Montaigne, le relativiste par excellence, me semble irréfutable : « Nous sommes chrétiens au même titre que nous sommes Périgourdins ou Allemands. » Si nous étions nés en Inde, nous serions hindouistes. En Chine, confucianistes ou taoïstes. Au Japon, shintoïstes ou bouddhistes, ou les deux à la fois, etc.

 

Ce poids de l’héritage qui nous modèle malgré nous, c’est ce que les Allemands appellent Kultur. À l’âge adulte, lui succède son réexamen critique, tantôt pour son abandon, tantôt pour sa correction, et tantôt pour sa réhabilitation, mais dans un sens autre que celui qui nous a été imposé : cette formation de soi par soi est ce que les Allemands encore appellent Bildung.

 

Kultur et Bildung sont ainsi les deux faces de la culture : l’héritage d’abord reçu et subi, et ensuite sa réévaluation, qui inclut évidemment l’examen d’autres traditions que la nôtre, donc une ouverture nécessaire vers un certain relativisme. C’est le prix à payer pour grandir.

 

En gros, la culture-héritage caractérise surtout le monde catholique, où l’on s’efforce de continuer à croire comme quand on était petit. Et la culture-formation caractérise plutôt le monde protestant, où elle prend son origine (l’idée et le mot de Bildung viennent de l’Allemagne majori­tairement luthérienne), et où l’on s’occupe surtout de continuer à croire quand on a grandi.[1]

 

En fait, notre pape veut nous maintenir dans une éternelle enfance. Mais on peut aussi lui répondre que cette foi inébranlable à laquelle il nous enjoint de nous rattacher n’est pas même le dernier mot de la tradition dont il se réclame. Écoutez seulement la parole du père de l’enfant possédé demandant à Jésus de le guérir : « Je crois ! Viens au secours de mon incrédulité ! » (Marc 9/24) De cette parole doutante, la plus précieuse je crois en christianisme, feraient bien de s’inspirer tous les croyants psychorigides, même s’inspirant de l’exemple papal.

 

Article paru dans Golias Hebdo, 22 octobre 2009

 

[1] Cette différence entre Kultur et Bildung (les deux faces de la culture), est développée dans mon ouvrage La Culture générale expliquée – Les Clés pour comprendre, éd. BoD, 2018. Voir :

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3 avril 2023 1 03 /04 /avril /2023 01:00

O

n vante beaucoup la simplicité et le naturel dont fait preuve le nouveau pape François. On lui oppose le côté trop sérieux et savant de son prédécesseur. Enfin, dit-on, un pasteur proche des gens, qui les comprend et parle comme eux !

 

Il m’est donc venu la curiosité de lire son exhortation apostolique Evangelii gaudium du 24 novembre 2013, qu’il a présentée comme le programme de son pontificat. On y lit des choses tout à fait édifiantes.

 

D’abord qui ne serait d’accord avec cet éloge de la joie ? Mais dès le début on lit une formule oxymorique : « L’Évangile, où resplendit glorieuse la Croix du Christ, invite avec insistance à la joie. » (§ 5) Allez faire comprendre à un public simple que la Croix, supplice infâmant, puisse en tant que telle inviter à la joie !

 

Mais de toute façon, le pape ne s’occupe pas de contradictions de fond, pas plus que d’essayer de les résoudre, car il se méfie de toute réflexion critique, et chez lui l’obscurantisme n’est pas loin.

 

Chez le prédicateur en effet il bannit « des paroles propres à la théologie ou à la catéchèse, dont la signification n’est pas compréhensible pour la majorité des chrétiens. » (§ 158) Il ne doit donc pas « viser trop haut ». Le conseil qu’il lui donne est simplement d’entrer en empathie avec les auditeurs, d’agir sur leurs émotions, l’ambiance, la forme de la présentation étant plus importantes que le contenu.

 

Ce n’est pas là se faire une belle idée de son public et de ses capacités. Bien plutôt on veut veiller sur son sommeil. Sois sans crainte, petit troupeau, nous pensons pour toi...

 

En somme le prédicateur doit s’adresser à ses auditeurs comme une mère parlant à son enfant : « On doit favoriser et cultiver ce milieu maternel et ecclésial dans lequel se développe le dialogue du Seigneur avec son peuple, moyennant la proximité de cœur du prédicateur, la chaleur de son ton de voix, la douceur du style de ses phrases, la joie de ses gestes. » (§ 140) En effet, « l’Église est mère et elle prêche au peuple comme une mère parle à son enfant, sachant que l’enfant a confiance que tout ce qu’elle lui enseigne sera pour son bien parce qu’il se sait aimé. » (§ 139)

 

Il faut donc rassurer le croyant en le berçant de douces paroles. Plus question de réexaminer ou éclaircir tels ou tels textes et dogmes, qui pourtant auraient bien besoin d’être revisités. Préférons l’onction, l’huile, et bannissons le  vinaigre. Rassure-toi, petite brebis (ouaille), et laisse-toi guider : tu es aimée, et ne t’occupe pas de réfléchir !

 

Ce maternalisme, propre depuis toujours à l’Église catholique et qu’évidemment le pape incarne encore, ne peut qu’infantiliser les fidèles, et les maintenir dans une épouvantable régression.

 

Article paru dans Golias Hebdo, 15 mai 2014

 

D.R.

 

***

 

Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.

 

 

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
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