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10 février 2022 4 10 /02 /février /2022 02:00

U

n jeune américain de 27 ans a été tué à coup de flèches, dès son arrivée sur leur territoire, par les indigènes habitant l’île de North Sentinel, dans un archipel de l’océan Indien rattaché à l’Inde.

 

Très croyant, ce jeune homme se pensait en terre de mission. Dans une ultime lettre adressée à sa famille, rédigée le matin de sa mort, il confiait : « Vous pensez peut-être que je suis fou de faire tout ça mais je pense que ça vaut la peine d’apporter Jésus à ces gens... Ce n’est pas en vain – les vies éternelles de cette tribu sont à portée de main et j’ai hâte de les voir adorer Dieu dans leur propre langage. » (Source : LeMonde.fr, 21/11/2018)

 

Ce prosélytisme en effet est bien comme il le disait une folie. Il peut malheureusement s’auto­riser de la fin de l’évangile de Matthieu : « Allez donc : de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, leur apprenant à garder tout ce que je vous ai prescrit. » (28/19-20)

 

Il y a peu de chances que ce passage soit de la bouche de Jésus lui-même, le dogme trinitaire qu’il contient et auquel il se réfère ayant été édicté plus tard. Mais passage funeste en tout cas, au nom duquel beaucoup de vies furent sacrifiées dans l’histoire, non seulement celles des évangélisés, mais comme ce vient d’être le cas pour notre pauvre jeune homme, des évangélisateurs.

 

Il était sans nul doute illuminé, et naïf de croire que la peuplade en question n’avait aucune vie spirituelle, aucun contact avec le divin. Ce sont de fervents animistes, manifestement en tout cas plus imprégnés de spiritualité dans leur vie quotidienne et le moindre de leurs gestes que la plupart des croyants « civilisés ». Qu’ils trouvent Dieu dans la Nature, pourquoi le leur reprocher ? C’est bien ce qu’a dit Spinoza chez nous.

 

En attendant, l’intrusion de ce corps étranger, même mort, chez eux risque de leur apporter des agents infectieux mortels contre lesquels, vivant en autarcie de temps immémorial, ils n’ont pas d’immunité, au point que selon une ONG de protection des tribus autochtones (Survival Interna­tional) tout leur groupe risque maintenant de périr.

 

Finalement, au lieu de leur apporter Dieu, le jeune homme peut leur avoir apporté la mort, comme celle dont il a été victime. Funeste dessein, et funeste destin !

 

Article paru dans Golias Hebdo, 6 décembre 2018

 

D.R.

***

 

Cet article est extrait du livre suivant :

Petite philosophie de l'Insolite
Théron, Michel
17,00Livre papier
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DESCRIPTION

Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).

 

***

 

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8 février 2022 2 08 /02 /février /2022 02:00

Les expérimentations à l’école de la méditation de pleine conscience (MPC) viennent de se heurter à un refus catégorique du Ministère. Pratique inspirée du bouddhisme, elle pourrait générer des dérives sectaires, du fait de l’intervention de personnalités extérieures aux établissements. (Source : lefigaro.fr, 04/02/2022)

 

Je comprends cette crainte, s’agissant d’enfants que l’on peut facilement influencer. Pour les adultes, il en est différemment, et les ateliers de MPC que le psychiatre Christophe André par exemple a initiés en milieu hospitalier peuvent être très utiles. Un adulte est capable de prendre et rejeter ce qui lui convient, adopter certaines techniques et se distancier de tel ou tel contexte religieux ou philosophique qui leur a donné naissance.

 

Cependant il ne faudrait pas ici rejeter le bébé avec l’eau du bain. Je crois d’extrême urgence le développement de la faculté de concentration chez les élèves, petits et grands. Car le vrai problème est que submergés de stimuli extérieurs ils sont incapables de fixer longuement leur attention sur le moindre sujet. L’attention, disait Malebranche, est la piété majeure de l’esprit. Simone Weil disait de même. Si l’École arrivait déjà à développer seulement l’attention chez les élèves, il me semble qu’elle aurait suffisamment rempli sa tâche. Pour l’acquisition de connaissances, ils auront toute leur vie, et des moyens de les acquérir (Internet par exemple) parfaitement inconnus de leurs aînés. On peut pourvoir à l’instruction tout au long de l’existence. Mais c’est en pure perte s’il n’y a pas dès l’enfance éveil à l’attention.

 

Toute méditation ne se ramène pas à la MPC. Il est des techniques très simples, élémentaires même, pour induire le calme. Pratiquement on pourrait commencer chaque cours par cinq ou dix minutes de silence absolu, assis et immobile. Peu importe ce à quoi on penserait. Au moins resterait-on silencieux. Cela contribuerait en tout cas à solenniser ce qui va suivre, le cours dispensé, délivré du brouhaha physique et mental habituel. Il faut croire à la valeur pédagogique des postures et des rites. Pascal allait même jusqu’à dire que la disposition à croire était favorisée par le fait de prendre de l’eau bénite.

 

Ce que je dis vient de ma longue expérience de professeur de l’enseignement public. Si les garde-fous n’y sont pas mis, toute classe est chroniquement vouée au tumulte et à l'agitation.

 

D.R.

 

***

 

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6 février 2022 7 06 /02 /février /2022 02:00

C

elles que font les hommes sont bien aléatoires, comme ils le constatent à l’expé­rience. Pourtant tous n’ont pas la sagesse de se rendre à cette évidence, et persistent à leur faire un immodéré crédit.

 

Ainsi ai-je appris, selon une information  rapportée par The Guardian, qu’au Royaume-Uni le ministre des Retraites Steve Webb a proposé que des experts déterminent l’espérance de vie des futurs retraités pour que ceux-ci puissent adapter la gestion de leurs finances à leur date de décès estimée.

 

Des experts pourraient analyser des facteurs comme la consommation de tabac, les habitudes alimentaires, le code postal ou la catégorie socio-économique pour déterminer une espérance de vie probable. (Source : Slate.fr, 17/04/14)

 

Ainsi, dans le cas où le test montrerait une faible espérance de vie, on n’aurait pas besoin de mettre beaucoup d’argent de côté pour plus tard. Et dans le cas contraire, il faudrait beaucoup épar­gner pour assurer le confort de sa vieillesse. Quelle belle invention pour rationaliser le système des retraites ! Et quelle belle prouesse économique !

 

Cette vision prévisionniste et statisticienne de la vie me semble d’une insupportable prétention. Qui sait en effet ce que l’avenir nous réserve ? D’abord nul n’est à l’abri d’un accident extérieur indépendant de sa volonté, et un vieillard peut vivre plus longtemps qu’un jeune : voyez « Le Vieillard et les trois jeunes hommes », de La Fontaine. Mais aussi qui oserait prévoir en général son propre destin ? On ne peut avoir maîtrise sur tout, et la vie ne se gère pas comme un compte en banque. De tout temps la sagesse des nations l’a vu : l’homme propose, disait-on autrefois, et Dieu dispose.

 

Bien sûr, c’est un fait que la mort nous attend tous. Mais qui connaît le moment où elle va arriver ? Mors certa, hora incerta, disaient les Latins : La mort est certaine, mais l’heure en est incertaine. L’Évangile dit de même : « Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour, ni l’heure. » (Matthieu, 25/13)

 

Ne savoir ni le jour ni l’heure n’est pas seulement le propre des malades atteints d’Alzheimer. Cela nous concerne tous, et nous pouvons tous nous dire, à un moment ou à un autre : « Il est plus tard que tu ne penses. »

 

Mais c’est un trait de l’époque moderne que la dénégation du destin : on veut à tout prix défataliser la vie, avoir une totale maîtrise sur son déroulement. Un tel triomphalisme relève de cette Hybris, ou orgueil démesuré, que venait pour les Grecs châtier la Némésis, ou justice immanente. Car si l’homme joue, le cours des choses le déjoue, et il n’est jamais prévisible.

 

Article paru dans Golias Hebdo, 1e mai 2014

 

D.R.

 

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).

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