La loi d’attraction-répulsion
... On pourrait même dire que dans les rencontres plus on va vers l’autre en lui demandant quelque chose, plus on risque d’en être repoussé. On n’aime pas en général celui qui mendie, on préfère un visage gai et heureux à un visage suppliant et maussade. Le visage d’autrui est comme un miroir : si l’on veut qu’il nous sourie, il faut lui sourire. Si on l’implore dans la tristesse, il ne nous sourira pas. Il y a là comme une loi d’attraction-répulsion, très généralement constatable.
Elle est très souvent visible dans l’amour, au moins celui de type passionnel : lorsque l’un s’élance vers l’autre dans une intention de demande, ce dernier se replie et regarde ailleurs. Une femme, disait Musset, est comme notre ombre : plus on la poursuit, plus elle nous fuit. Et inversement, plus on la fuit, plus elle nous suit. Cette « chaîne » est celle d’Andromaque de Racine : Oreste aime Hermione qui ne l’aime pas, Hermione aime Pyrrhus qui ne l’aime pas, Pyrrhus aime Andromaque qui ne l’aime pas, qui aime Hector qui est mort... Pour les trois premiers personnages, c’est bien une chaîne de solitude et de mendicité. Ainsi chacun suit qui le fuit, et fuit qui le suit. Et peut-être ne pas aimer est-il le meilleur moyen d’être aimé... Voyez ici la pièce-monologue de Jean Cocteau Le Bel indifférent.
Si donc je dis : « J’aime et je suis aimé », on pensera peut-être que je suis très heureux, et on m’enviera. Mais qui dit qu’il s’agit de la même personne ?
En tout cas, si un vrai partage entre les êtres se fait, ce sera sans demande préalable, et sur un total respect de ce qu’est l’autre. Donc de sa propre solitude, de sa capacité à être lui aussi autarcique. Et si l’autre prend cette distance et ce désir d’autarcie pour de l’indifférence, c’est qu’il n’a pas encore acquis une maturité suffisante. Il projette sur son partenaire un désir d’être protégé qu’il n’a pas, et peut-être par là veut-il secrètement avoir prise sur lui, par cette protection précisément qu’il prétend lui offrir : Je vais me l’attacher par ma présence constante à ses côtés, et il m’en sera reconnaissant. – Rien de bon ne peut sortir de ces secrètes manipulations.
En général, quand on projette ainsi sur l’autre des attentes en réalité égocentrées, on ne le traite pas comme une fin, mais comme un moyen. On sait qu’un principe majeur de la morale, selon Kant, est de traiter autrui toujours comme une fin, jamais comme un moyen. Si je cherche dans un être « l’âme-sœur » parce que je ne sais pas être seul et me suffisant à moi-même, je le réifie et l’instrumentalise, et tant vaut-il alors pour moi un animal de compagnie. « L’âme-sœur » finit au poisson rouge. Comme pour certaines femmes le Prince charmant des rêves finit dans un Monsieur Bricolage...
La plupart des gens vivent pour eux-mêmes et par les autres, alors qu’il faudrait vivre par soi-même et pour les autres. Je veux dire en étant d’abord réuni à soi-même, à son être profond, en solitude et autarcie, pour ensuite s’ouvrir vers les autres et s’y intéresser. Ne peut rien en effet pour le bonheur d’autrui celui qui vit lui-même d’aumônes...
commenter cet article …