On en formule à chaque début d’année. Ordinairement on souhaite aux autres la réalisation de leurs désirs. Et si, pour une fois, on essayait de varier la formulation, dire par exemple : « Je vous souhaite de ne pas obtenir, cette année, tout ce que vous désirez » ? Je vois d’ici les réactions : De qui se moque-t-on ? Que lui ai-je fait pour qu’il m’agresse ainsi ? – Et pourtant...
|
Pourtant il y a sûrement quelque sagesse à ne pas vouloir obtenir tout ce qu’on désire. Tout simplement parce que s’il y a obtention, on ne peut plus rien désirer. Il est dur, certes, de ne pas obtenir ce qu’on désire. Mais il peut être aussi dur de l’obtenir. Frustration dans le premier cas, mais déception possible dans le second. On peut donc menacer quelqu’un de l’accomplissement de tous ses vœux. Les dieux nous punissent en nous exauçant.
« Le désir fleurit, la possession flétrit toute chose », dit Proust. L’expression : « laisser à désirer », chez nous péjorative, peut être réhabilitée dans un sens positif.
Qui ne voit que la vraie fête est la veille de la fête, le vrai dimanche le samedi soir, les vraies vacances le jour où on les prend, et le meilleur moment en amour, quand on monte l’escalier ? L'amour est souvent meilleur dans les rêves que dans les draps. Quand quelque chose a commencé de se réaliser, l’émotion et l’élan initiaux diminuent, et très vite s’installe l’habitude, fossoyeuse du cœur.
C’est peut-être pour cela qu’au deuxième jour de la création Dieu ne redit pas que ce qu’il a fait est bon (Genèse 1/8). C’est que ce jour-là n’a plus la plénitude du Jour inaugural, le Jour Un (Genèse 1/5). Les traductions ici par « premier jour » sont fausses, au regard du texte. Il s’agit bien du Jour de l’Unité – en hébreu Yom erad, en grec dans la Septante Hemera mia, en latin dans la Vulgate Dies unus. Ce jour, définitionnel et archétypal, est très différent des suivants, circonstanciés et ontologiquement dégradés du fait de leur inscription dans un processus, un inévitable déroulement, dans l’exil du Temps.
Je laisserai sourire les lecteurs, sceptiques devant cet idéalisme, qui chez certains esprits au moins est profondément ressenti. On est souvent plus heureux par ce qu’on attend que par ce qu’on obtient. En somme, on n’est heureux qu’avant de l’être.
Pensez à la réponse que fait chez Saint-Exupéry l’aviateur au Petit Prince qui lui demande de dessiner un mouton. Comme aucun mouton dessiné ne satisfait l’enfant, finalement l’aviateur lui dessine la caisse dans laquelle le mouton est contenu, à charge pour lui de l’imaginer.
C’est la seule réponse satisfaisante. Je trouve, après Bachelard par exemple, qu’un coffret, une armoire, pourquoi pas l’enveloppe d’une lettre, sont plus attirants fermés, parce qu’on peut davantage imaginer leur contenu. Et je laisserai les analphabètes du cœur se ruer pour les ouvrir...
***
Retrouvez tous mes articles de Golias Hebdo, publiés en plusieurs volumes, sous le titre Des mots pour le dire, chez BoD. Sur le site de cet éditeur, on peut en lire un extrait, les acheter... Cliquer : ici.
Notez qu'ils sont aussi tous commandables en librairie, et sur les sites de vente en ligne (Amazon, Fnac, etc.).