Chère à Ivan Illich dans sa critique de la société industrielle, elle va se perdre complètement dans ce que le nouveau commerce nous prépare. J’ai regardé à cet égard une édifiante émission passée sur Arte dans la soirée du 12 octobre dernier : Hypermarchés, la chute de l’empire. On y voyait que les achats dans les magasins se feront à l’avenir de façon totalement solitaire, chacun poussant un caddie bardé de capteurs, qui enregistrera automatiquement ce que l’on prendra sur les rayons, donnera là-dessus tous les renseignements utiles (provenance, etc.), et en délivrera une facture ainsi qu’une attestation de paiement, point n’étant besoin de passer finalement à une caisse. Naturellement dans ce système informatisé à base d’intelligence artificielle les gens seront intégralement fichés. Dans la vente à emporter, ce seront des robots qui prépareront les commandes.
Dans le supermarché ordinaire, on pouvait s’adresser à un employé de rayon, ou une hôtesse quelconque, en somme échanger quelques mots. C’est d’ailleurs pour certaines personnes âgées et solitaires tout le contact qu’elles peuvent avoir encore aujourd’hui dans une journée. Mais les magasins de l’avenir seront quasiment vides de personnel. Outre que cela va augmenter évidemment le chômage de façon exponentielle, il y a là une vraie catastrophe anthropologique.
Dans un marché traditionnel africain, acheter une douzaine d’œufs peut donner naissance à une palabre d’une demi-heure. L’homme en effet n’a pas que des besoins, il a aussi des désirs, qui excèdent les premiers. Manger par exemple n’est pas que s’alimenter, c’est aussi parler à cette occasion avec le commensal. Parler aussi du temps qu’il fait avec un passant que l’on croise est bien plus que consulter un froid bulletin météo : c’est entrer en contact avec quelqu’un. C’est ce qu’on appelle la fonction phatique du langage. On a vu avec le dernier confinement sanitaire, où l’on en a été privé, quelle importance pouvait avoir le contact humain.
Mais dans ce qu’on nous promet (qui vient de la Silicon Valley aux États-Unis), il y a une totale déshumanisation. Se profile une vision cauchemardesque de zombies déambulant les yeux fixés sur leur téléphone portable, simples pions dans la Matrice, ignorant totalement leurs semblables, dépouillés de ce qui fait essentiellement l’homme : le contact. Voilà où mène, sous prétexte d’efficience et de rentabilité, l’intelligence artificielle.
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