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17 octobre 2021 7 17 /10 /octobre /2021 01:01

Chère à Ivan Illich dans sa critique de la société industrielle, elle va se perdre complètement dans ce que le nouveau commerce nous prépare. J’ai regardé à cet égard une édifiante émission passée sur Arte dans la soirée du 12 octobre dernier : Hypermarchés, la chute de l’empire. On y voyait que les achats dans les magasins se feront à l’avenir de façon totalement solitaire, chacun poussant un caddie bardé de capteurs, qui enregistrera automatiquement ce que l’on prendra sur les rayons, donnera là-dessus tous les renseignements utiles (provenance, etc.), et en délivrera une facture ainsi qu’une attestation de paiement, point n’étant besoin de passer finalement à une caisse. Naturellement dans ce système informatisé à base d’intelligence artificielle les gens seront intégralement fichés. Dans la vente à emporter, ce seront des robots qui prépareront les commandes.

 

Dans le supermarché ordinaire, on pouvait s’adresser à un employé de rayon, ou une hôtesse quelconque, en somme échanger quelques mots. C’est d’ailleurs pour certaines personnes âgées et solitaires tout le contact qu’elles peuvent avoir encore aujourd’hui dans une journée. Mais les magasins de l’avenir seront quasiment vides de personnel. Outre que cela va augmenter évidemment le chômage de façon exponentielle, il y a là une vraie catastrophe anthropologique.

 

Dans un marché traditionnel africain, acheter une douzaine d’œufs peut donner naissance à une palabre d’une demi-heure. L’homme en effet n’a pas que des besoins, il a aussi des désirs, qui excèdent les premiers. Manger par exemple n’est pas que s’alimenter, c’est aussi parler à cette occasion avec le commensal. Parler aussi du temps qu’il fait avec un passant que l’on croise est bien plus que consulter un froid bulletin météo : c’est entrer en contact avec quelqu’un. C’est ce qu’on appelle la fonction phatique du langage. On a vu avec le dernier confinement sanitaire, où l’on en a été privé, quelle importance pouvait avoir le contact humain.

 

Mais dans ce qu’on nous promet (qui vient de la Silicon Valley aux États-Unis), il y a une totale déshumanisation. Se profile une vision cauchemardesque de zombies déambulant les yeux fixés sur leur téléphone portable, simples pions dans la Matrice, ignorant totalement leurs semblables, dépouillés de ce qui fait essentiellement l’homme : le contact. Voilà où mène, sous prétexte d’efficience et de rentabilité, l’intelligence artificielle.

 

D.R.

***

 

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13 octobre 2021 3 13 /10 /octobre /2021 01:01

Une expression me fait toujours sursauter : c’est celle de « Parole de Dieu ». Les croyants l’emploient souvent pour qualifier leur livre sacré, que ce soit la Bible ou le Coran (ce dernier est « incréé », c’est-à-dire qu’il ne fait que reprendre mot pour mot la Parole de Dieu). Chez nous « Parole de Dieu » ou « Parole du Seigneur » se disent couramment dans la messe.

 

Je suppose qu’il faut entendre ce génitif dans un sens subjectif, et y voir le fait que Dieu lui-même nous parle. Dans ce cas, l’expression pose problème, dans le sens où elle ignore ce qu’est véritablement une parole, et ce que, en regard d’elle, peut être Dieu.

 

Parler c’est opérer un choix, une section entre différents possibles, et le résultat de ce choix ou de cette section (le contenu verbal émis) sera non pas vrai, mais simplement valide par rapport à telle situation donnée. Une parole universellement vraie n’existe pas.

 

S’agissant de l’Essentiel, qu’on l’appelle Dieu ou autrement, aucune parole ne peut lui être attribuée, car il les excède toutes. Lao-Tseu dit très bien du Tao que celui qui peut se formuler en mots n’est pas le Tao de toujours. Il en est de même pour Dieu : toute parole qu’on pourrait lui prêter le limite forcément, car il représente par définition un infini de possibles dicibles. Dieu est plus grand que tout ce qu’on peut s’imaginer à son propos et tout discours qu’on peut lui attribuer. Le Allah Akbar ! de l’islam exprime cela. Et si on réfléchit bien il invalide toute parole particulière qu’on peut prêter à Dieu.

 

Qui voit Dieu meurt (Exode 33/20), et dans toute parole meurt ce qui lui donne naissance, le sentiment préalable d’une infinité possible d’assertions. C’est pourquoi les gnostiques préféraient le silence (Sigè) au Logos. Et une certaine théologie s’est voulu négative ou apophatique : de Dieu on ne peut dire que ce qu’il n’est pas.

 

Les paroles de Dieu, comme toutes paroles inféodées à un contexte, sont inévitablement contradictoires. Et c’est au nom de telle ou telle de ces paroles qu’on massacre les autres avec une totale bonne conscience.

 

Aussi je prendrai volontiers l’expression dans un sens objectif : « Paroles de Dieu » signifierait les paroles qu’on dit à propos de Dieu, dont Dieu est l’objet. Les textes apparaissent donc alors non pas comme des paroles venant de Dieu, mais comme des paroles d’hommes parlant de Dieu. C’est plus juste il me semble, et en tout cas moins dangereux.

 

D.R.

 

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9 octobre 2021 6 09 /10 /octobre /2021 01:01

Étymologiquement ce mot signifie séparé, mis à part. J’y ai repensé en réfléchissant à l’omerta qui a entouré, de la part des victimes et de leurs proches, les crimes sexuels causés par les différents ministres de l’Église catholique.

 

Le personnage du prêtre est une figure sacrale. S’autorisant de l’exemple du Christ, censé (à tort pourtant) avoir fondé l’Église, il agit en sa personne, in persona Christi, par exemple lorsqu’il administre les sacrements. Il a le pouvoir exorbitant d’absoudre les péchés lors du sacrement de pénitence : « Moi, je t’absous... » (Ego te absolvo...). Le pouvoir aussi d’opérer le miracle de la transsubstantiation dans le rite de l’eucharistie : dès lors qu’il prononce les paroles sacramentelles, le pain et le vin sur l’autel se changent en corps et sang du Sauveur. L’épiclèse même, l’appel à l’Esprit-Saint pour valider la consécration, n’a été que récemment introduite, et n’est pas conçue de la même façon en catholicisme où il s’agit de conforter les paroles de l’officiant, et en orthodoxie où cet appel est fait au nom de la communauté. L’assistance est invitée à baisser la tête devant le Mystère de la foi (Mysterium fidei) dont le prêtre est par délégation à la fois le célébrant et l’acteur qui le fait advenir. Comment s’étonner que ces pouvoirs miraculeux n’impressionnent pas, comme on dit, l’âme des fidèles ?

 

Si donc les crimes sexuels dont certains clercs se sont rendus coupables n’ont pas été dénoncés, c’est que ces derniers bénéficiaient, de la part de leurs ouailles (petites brebis), d’une projection aveuglée qui les en excusait.

 

Il suit de là que pour éviter que de tels crimes se reproduisent à l’avenir, il faut supprimer cette projection. Et il ne suffira pas de permettre aux prêtres de se marier, par exemple, pour les rapprocher de la normalité. Il faudra redéfinir le rôle fonctionnel du prêtre. Il ne doit plus être le gestionnaire du sacré qu’il est dans l’administration des sacrements et la célébration du sacrifice eucharistique. Ces tâches doivent être vues non pas comme des thaumaturgies, des processus magiques, mais comme des actes symboliques, à la manière par exemple dont les protestants voient la liturgie eucharistique.

 

Que le prêtre tenté de se prendre pour Dieu lui-même prenne modèle sur le pasteur, qui dirait en « confession » non pas « Je t’absous », mais « Que Dieu te pardonne ! » Cette position me semble à la fois plus modeste et plus digne.

 

Mais l’Église est-elle prête à ainsi se protestantifier ? J’en doute. Et l’excommunication de Luther, à ma connaissance, n’a pas été encore levée.

 

Finalement, si le sacré est une expérience essentielle que chacun peut faire dans sa vie, et qu’a bien décrite Rudolph Otto dans le livre qui porte ce nom, il est très dangereux de le laisser gérer et bien souvent instrumentaliser par d’autres que soi.

 

D.R.

 

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).

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