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21 mars 2021 7 21 /03 /mars /2021 02:01

I

l semble aujourd’hui que le langage s’adou­cisse à proportion que la dureté de la vie augmente. La pratique de l’euphémisme se généralise, comme si on changeait quoi que ce soit aux réalités en changeant la façon de les nommer.

 

La liste de ces impostures langagières, qui sont marques évidentes d’aveuglement, est infinie. Ainsi un chômeur devient un demandeur d’em­ploi ; un pauvre, un économiquement faible ; un aveugle, un non voyant ; un dément, une personne désorientée ; un nain, une personne de petite taille ; un vieillard, une personne âgée ; une prison, un lieu de privation de liberté ; la simple publicité ou la réclame, la communication ; un avortement, une interruption volontaire de grossesse, etc. La périphrase sert à voiler les choses, à dire autour d’elles, comme le dit son étymologie. C’est un manteau hypocrite qui couvre le réel dans sa nudité, ou un regard oblique ou biaisé, qui empêche de le voir frontalement.

 

Le peuple, qui n’est pas toujours au fait de ces artifices rhétoriques, s’y laisse prendre volontiers. Il peut s’enorgueillir de l’euphémisme qu’on utilise pour modéliser ainsi sa situation, et se dispenser de voir, pour un temps au moins, la réalité de ce qu’il vit. Les dirigeants quant à eux s’en servent pour endormir leurs assujettis, les anesthésier. On prend les hommes comme les lapins, par les oreilles.

 

Je me demande tout de même quelle idée claire et nette peut se dégager de toute cette bouillie verbale, langue de bois ou langue d’agglo, et quel vrai dialogue peut se nouer entre ceux qui la pratiquent. Ne faudrait-il pas, au contraire de tout ce brouillard et à quelque bord qu’on appartienne, une lucidité minimale, quand on s’occupe d’orga­niser les affaires humaines ?

 

Un disciple de Confucius lui demanda un jour quelle lui semblait être la première tâche à faire pour le souverain d’un pays. Il répondit : restaurer le sens des mots. Et il expliqua : « Si les dénominations ne sont pas correctes, si elles ne correspondent pas aux réalités, le langage est sans objet. Quand le langage est sans objet, l’action devient impossible, toutes les entreprises humaines se désintègrent, et il devient impossible et vain de les gérer. » N’en sommes-nous pas là aujourd’hui ?

 

28 mai 2009

 

D.R.

 

 

***

 

Ce texte est d'abord paru dans le journal Golias Hebdo. D'autres textes comparables figurent dans l'ouvrage suivant, premier tome d'une collection, dont on peut feuilleter le début (Lire un extrait), et qu'on peut acheter sur le site de l'éditeur (Vers la librairie BoD). Le livre est aussi disponible sur commande en librairie, ou sur les sites de vente en ligne.

Petite philosophie de l'actualité
Théron, Michel
15,00Livre papier
Lire un extrait

DESCRIPTION

Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils ont cependant un contenu intemporel, et se prêtent toujours à une réflexion philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).

Pour voir l'ensemble des volumes parus dans cette collection, cliquer ici.

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19 mars 2021 5 19 /03 /mars /2021 02:01

Il en existe deux sortes principales : l’amour de désir, en grec éros, et l’amour de bienveillance, en grec agapè. Le premier est à la base de la passion, où l’on est essentiellement passif, et le second implique un engagement conscient et une volonté d’action. Dans le premier cas on aime l’amour lui-même, et non pas telle ou telle personne : on aime être amoureux. Dans le second seul il y a vraiment connaissance de l’autre, qui est progressivement approché et « apprivoisé ».

 

Il est évident que le grand ennemi du premier est le Temps, qui désillusionne, fait tomber les projections et détruit les fantasmes. Le second se construit peu à peu, et le Temps a moins de prise sur lui. Ordinairement, dit-on, avec la maturité on passe du premier au second.

 

Tout cela semble bien clair, et fait la matière du livre d’Anders Nygren sur Éros et agapè, des ouvrages aussi de Denis de Rougemont, L’Amour et l’Occident, et Les Mythes de l’amour, ainsi que de mon propre livre Savoir aimer – Entre rêve et réalité (éd. BoD, 2020).

 

Malheureusement ce beau schéma n’est pas toujours conforme à la réalité. En effet, on peut dans l’amour de bienveillance regretter de ne plus éprouver la passion, bref de ne plus être amoureux de la personne qu’on aime. Et cette découverte est souvent très douloureuse, autant pour qui la fait en soi, que pour le partenaire, qui se sent rejeté.

 

On trouvera cet état de crise décrit par un coach italien sur son site : adriano-rossi.it. L’expression italienne qu’il utilise pour décrire ce moment est très explicite : Ti voglio bene ma non ti amo più – Je t’aime (de bienveillance) mais je ne suis plus amoureux de toi.

 

Je ne sais pas si les conseils que donne ce coach pour récupérer la passion perdue sont vraiment efficaces. Je sais en tout cas qu’un être qu’on rejette ainsi ne peut pas se satisfaire d’une simple affection, qui peut sembler la dérisoire monnaie de l’amour. Et donc j’en veux finalement à tous ceux qui sous la forme d’un catéchisme prétendent qu’agapè invalide définitivement éros. Ainsi Rougemont affirme que l’amour humain doit résilier les rêves, et se parachever dans le cadre raisonnable du mariage chrétien.

 

Je ne suis pas d’accord là-dessus. Je crois qu’il faut toujours continuer à rêver sur l’être qu’on aime, une fois que le danger de le méconnaître a été écarté. C’est d’ailleurs ce que j’ai exprimé dans mon ouvrage susmentionné, en rappelant que l’homme est aussi le fils de ses propres rêves : il descend du Songe.

 

D.R. - Cliquer sur l'image

 

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17 mars 2021 3 17 /03 /mars /2021 02:01

Critiquant la ministre de la culture, Marina Foïs a déclaré, vendredi soir 12 mars dernier, au cours de la 46e cérémonie des Césars : « On a fermé les salles pour ouvrir les églises. » (Source : leparisien.fr, 13/03/2021)

 

Certains ont vu là une affirmation antireligieuse. Il n’est pas acceptable pour eux de mettre sur le même plan la culture et le culte, de confondre une manifestation culturelle avec une cérémonie cultuelle. C’est pourquoi ouvrir les églises leur semble plus important qu’ouvrir théâtres, cinémas et musées, ce qui justifie bien le choix gouvernemental.

 

Je ne suis pas de leur avis. Dans une œuvre de culture, quelle qu’elle soit, se fait une représentation de la vie, plus probante que la vie vécue elle-même, et lui donnant son sens. S’y voit et s’y lit un discours clarificateur, qui échappe à l’effilochage et au flou de l’existence ordinaire, et nous institue en vraie humanité. Les scénarios de vie qui s’y perçoivent nous guident et nous modèlent. Sans les romans, par exemple, comment pourrait-on faire sa cour à une femme ? Toutes les constructions culturelles sont des miroirs édifiants, qui comme tous les miroirs donnent une image plus nette de la réalité, et éclaircissent notre existence. La vraie vie s’y trouve, et sans eux nous restons des morts-vivants : le vampire, mort-vivant par excellence, ne se reflète dans aucun miroir.

 

Eh bien ! il en est de même des constructions religieuses. Les récits qu’elles véhiculent, les scénarios qu’elles explorent, les mises en scène de la vie qu’elles opèrent, ont le même but : façonner l’homme pour qu’il ressemble à l’homme. Le culte même, comme la messe en milieu chrétien, est un théâtre édificateur, qui conduit de la chute à la rédemption.

 

Si l’on pense que les deux domaines ne sont pas du même ordre, c’est qu’on est façonné par un catéchisme non remis en question, qui déclare sacré tel domaine, et profane tel autre. En cela on ne réfléchit ni ne parle soi-même, on répète en écho une voix venue d’en-haut, ce qui est le sens propre du mot « catéchisme ». À mon avis il faut se déprendre de ce psittacisme.

 

De toute façon, la raison du choix gouvernemental en période de pandémie de fermer les salles et d’ouvrir les églises est peut-être bien plus prosaïque qu’on ne croit : la quantité des lieux et leur fréquentation n’est pas comparable dans les deux cas, et les premières auraient accueilli bien plus de personnes que les secondes.

 

D.R.

 

***

 

Ce texte va paraître dans le journal Golias Hebdo. D'autres textes comparables figurent dans l'ouvrage suivant, premier tome d'une collection, dont on peut feuilleter le début (Lire un extrait), et qu'on peut acheter sur le site de l'éditeur (Vers la librairie BoD). Le livre est aussi disponible sur commande en librairie, ou sur les sites de vente en ligne.

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).

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