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7 mai 2023 7 07 /05 /mai /2023 01:00

O

n la distingue ordinairement dans la Bible de la mise à l’épreuve. Ainsi seul le Diable peut tenter l’homme, alors que Dieu se contente de l’éprouver.

 

Par exemple, à propos de l’épisode d’Abraham à qui Dieu demande de lui sacrifier son fils, on lit : « Dieu mit Abraham à l’épreuve… » (Genèse 22/1) À l’inverse, lorsqu’il s’agit du Diable qui tente Jésus dans le désert, on lit de même : « Il fut tenté par le diable pendant quarante jours… » (Luc 4/2) Voilà une répartition sémantique apparemment bien claire.

 

Mais comme je suis de nature curieuse, et comme je fais passer toujours la philologie avant l’idéologie, je me suis reporté aux textes mêmes. Je me suis alors aperçu que dans les deux cas, aussi bien dans les versions grecques de la Septante et du Nouveau Testament, que dans la version latine de la Vulgate, le mot est exactement le même. Soit en grec : peirân, et en latin temptare, qui a donné évidemment notre mot : tenter. On peut donc traduire le début de Genèse 22/1 par : « Dieu tenta Abraham  (Septante : epeirazen, Vulgate : temptavit) » Il n’y a donc aucune raison de réserver la tentation au Diable seul, et à partir de là on peut très bien dire qu’il y a un côté diabolique de Dieu.

 

Il existe jusque dans le Notre Père lui-même, où on lit bien : « Ne nous induis pas en tentation – grec : peirasmon, à rapprocher du peirân sus cité ; latin : temptatio (Matthieu 6/13 ; Luc 11/4). Quant au mot induire, en grec eispherein, en latin inducere, il signifie bien : conduire dans, pousser dans. Un peu comme dans l’Iliade un dieu hostile pousse Patrocle par derrière, pour le faire tomber et périr sous les coups des Troyens.

 

Cette image d’un dieu méchant et sadique faisait si peur à Marcion, qu’il avait proposé ici de corriger le texte en : « Ne nous laisse pas succomber à la tentation », version non directement agissante que j’ai apprise moi-même au catéchisme dans les années 1960. Marcion a supposé ici peut-être un substrat araméen, qui connaît le mode factitif (« Ne fais pas que nous soyons soumis... »), à la différence du grec et du latin qui ne le connaissent pas. Depuis on a d’abord rétabli la traduction initiale, puis à nouveau hésité à son propos [2017]. Mais y a-t-on assez réfléchi ?

 

Bien sûr, on m’opposera l’épître de Jacques : « Que personne, lorsqu’il est tenté, ne dise : ‘C’est Dieu qui me tente.’ Car Dieu ne peut être tenté par le mal, et il ne tente lui-même personne. » (1/13) Mais c’est bien alors le cas de le dire : qui s’excuse s’accuse. Car le problème a bel et bien été vu, puisqu’on s’est occupé de le résoudre.

 

Et puis l’image même de Dieu ne gagne-t-elle pas en richesse et en épaisseur, induisant en nous une plus grande prudence dans nos rapports avec elle, lorsqu’elle est ainsi complexifiée et arrachée au catéchisme ?

 

Article paru dans Golias Hebdo, 8 juillet 2010

 

D.R.

 

*

 

On peut voir des approfondissements à cette question dans mon ouvrage Théologie buissonnière, préfacé par André Gounelle :

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6 mai 2023 6 06 /05 /mai /2023 14:58

Un éloge du vide :

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5 mai 2023 5 05 /05 /mai /2023 01:00

B

illets, s’il vous plaît ! – J’obtempère, et présente au contrôleur mon titre de transport, me souvenant du temps où les compartiments de chemin de fer étant séparés, on entendait d’abord, précédant l’injonction, le petit bruit sec et comminatoire fait par la pince sur la vitre.

 

Par on ne sait quelle association d’idées, je me suis mis à penser à la parabole des talents (Matthieu 25/14-30). Partant pour un voyage, le maître laisse en dépôt à trois de ses serviteurs, « à chacun selon sa capacité », une somme chiffrée en talents, monnaie de l’Antiquité. De retour, il félicite les deux premiers qui ont fait fructifier, qui les cinq talents confiés, qui les trois.

 

Mais le dernier, qui a caché le seul talent reçu par peur de le perdre et de ne pas pouvoir le rendre, et le restitue donc à l’identique, est sévèrement condamné par le maître, qui lui ôte le seul talent qu’il a et le donne au premier. « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abon­dance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a. Et le serviteur inutile, jetez-le dans les ténèbres du dehors, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. » (29-30)

 

Cette parabole m’a toujours impressionné. Il faut donc toujours pouvoir justifier la gestion de ses dons, exactement comme il faut, sur le chemin de la vie, se trouver en état de présenter au contrôleur le titre de transport. Si on ne le peut, on doit payer l’amende, c’est-à-dire être dépouillé de ce peu même que l’on a.

 

C’est ce qu’on voit aussi dans la formulation admirable mais aussi terrifiante du logion 70 de l’évangile selon Thomas : « Jésus a dit : ‘Quand vous engendrerez cela en vous, ceci que vous avez-vous sauvera ; s’il vous arrive de n’avoir pas cela en vous, ceci que vous n’avez pas en vous vous tuera.’ »

 

Pour mon cas personnel (mais pour d’autres bien sûr ce sera différent), j’ai toujours pensé que ce « don » à cultiver était l’écriture. Chaque jour passé loin d’elle je peux me redire l’interrogation du Dies irae, où le pécheur évoque sa comparution devant son Juge :

 

« Quid sum miser tunc dicturus 

Quem patronum rogaturus

Cum vix justus sit securus ? »

 

(« Que dirai-je, malheureux que je suis, qui invoquerai-je comme avocat, quand le juste lui-même sera à peine en sécurité ? »)

 

– Mais on peut très bien, et toute sa vie durant, redouter un jugement tout en pensant qu’il n’existe pas. En effet, et là encore je n’engage que moi, je pense qu’il n’y a pas de Contrôleur, et qu’on ne sera jamais contrôlé.[1]

 

D.R.
 

[1] La matière de cette chronique fait l’objet d’une des fictions de mon livre en deux formats Fictions  I  - Libres lectures bibliques ::

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
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