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11 mai 2022 3 11 /05 /mai /2022 01:00

I

l me semble qu’on en manque un peu aujourd’hui. J’ai entendu en effet au Journal de 19 heures de France Inter, le 14 février dernier, qu’une pâtisserie de Bordeaux a commercialisé, à l’occasion de la Saint-Valentin, fête des amoureux, des sexes masculins en chocolat.

 

Des femmes interviewées ont dit être intéressées. Seul un homme fut contre, préférant, au risque du kitsch, des pâtisseries en forme de petits cœurs. Inversion des rôles donc : le romantisme, qui se cache bien, n’est peut-être pas où l’on croit…

 

Il s’agissait donc de fêter l’amour. Mais lequel ? Dans L’Homme unidimensionnel, Marcuse oppose bien l’amour humain à la sexualité. Le premier s’entoure de rêve, d’imaginaire, de ce que Stendhal appelle la cristallisation, c’est-à-dire la valorisation en solitude et à distance de l’objet aimé. Bref, il se vêt de poésie, et ouvre l’homme à un idéal, une Transcendance. Mais la sexualité ramène l’amour à la pulsion élémentaire, immédiatement satisfaite, tout embellissement onirique ôté. Ce n’est pas la même chose de faire l’amour dans un pré tout orné de fleurs, et dans une voiture. J’ai bien peur qu’aujourd’hui le rêve amoureux, et la rhétorique afférente, soient fort en déclin.

 

Dans Le Meilleur des mondes, Huxley nous montre les hommes modernes conditionnés à ne se considérer que comme des « tas de viande », cédant à leurs instincts aussitôt qu’apparus, et relé­guant aux vieilles lunes le romantisme traditionnel de l’amour. On y perd évidemment beaucoup, l’animalité triomphant sur les décombres des anciens rêves.

 

Par hypnopédie, ou conditionnement durant le sommeil, on persuade les gens que « chacun appartient à tout le monde », que tout sentiment exclusif et exalté dont être banni : c’était bon pour l’ancien monde... Désormais on est échangiste et décomplexé, enfin « heureux » !

 

De la sorte l’emprise du Pouvoir politique sur ses assujettis augmente tout naturellement, car l’amour vrai avait une force de résistance sociale et un pouvoir d’anarchie qu’il a perdus.

 

Gageons que saint Valentin se serait retourné dans sa tombe, s’il avait vu que sa fête ramenait l’amour à la simple pulsion sexuelle, comme on l’a constaté fréquemment dans les offres commerciales qui nous ont été faites à cette occasion.

 

La traditionnelle fête du sentiment devient en effet, progressivement mais invinciblement, celle de l’érotisme. On est maintenant bien loin des doux amoureux de Peynet. J’ai reçu entre tant d’autres une publicité sur Internet vantant un site intitulé « Adopte un mec », et invitant pour ce faire à « accéder au stock » !

 

... Continuez comme cela, mes chers contemporains, et vous perdrez jusqu’à la poussière de votre nom !

 

Article paru dans Golias Hebdo, 28 février 2013

 

D.R.

 

***

 

Cet article est extrait du livre suivant :

Petite philosophie de l'Insolite
Théron, Michel
17,00Livre papier
Lire un extrait

DESCRIPTION

Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).

 

***

 

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9 mai 2022 1 09 /05 /mai /2022 01:00

Il ne doit pas seulement être pris dans son sens habituel, littéral, ou physique. Il peut aussi être symbolique, et impliquer une égale gravité. Deux exemples actuels le montrent.

 

En Ukraine, les troupes de Vladimir Poutine ciblent non seulement des femmes, des hommes et des enfants, mais aussi un patrimoine, une culture, en bombardant systématiquement les édifices religieux, les théâtres, les statues et les musées. (Source : nouvelobs.com, 29/03/2022)

 

Vladimir Poutine ambitionne ainsi de dénier toute existence au peuple ukrainien dans son ensemble, en anéantissant sa mémoire. Or c’est cette dernière qui fait une personne. Si elle n’a plus de passé, ou si elle ne peut plus y avoir accès ou se le remémorer au moyen de ses symboles habituels et spécifiques, alors c’est comme si elle n’existait plus. Jean Anouilh a évoqué la situation tragique de l’amnésique dans Le Voyageur sans bagage. Un tel homme déshérité ne peut plus qu’errer dans le monde en apesanteur, dépossédé de son nom même. Et on connaît aussi le tragique des révolutions ainsi que des régimes totalitaires qui ont voulu du passé faire table rase. Elles ont abouti à la pulvérisation totale des êtres humains dans leur substance intime, exposés à toutes nouvelles catastrophes par effacement de leur mémoire. « Ceux qui ne se souviennent pas du passé, disait Santayana, sont condamnés à le revivre. »

 

Le second exemple est celui des talibans afghans, qui non contents de vouloir maintenir les femmes à l’intérieur de leurs maisons, viennent de leur imposer le port du voile intégral, ou burqa, quand elles ont la nécessité d’aller dans l’espace public. Si elles y contreviennent, leur tuteur (parent mâle, ou mari) sera puni. Là aussi il s’agit d’effacer des êtres de la vue, donc de les tuer symboliquement. Leur vision dans ce qu’en montrent les médias me donne le même effroi que les ruines ukrainiennes. On n’en voit que des fantômes errants, noirs ou bleus, et c’est comme si elles étaient mortes.

 

Les talibans ont même préféré faire passer leurs convictions religieuses avant le souci de recevoir l’aide occidentale, qui était subordonnée à un respect minimal des droits humains. Bref peut leur importe que leurs enfants meurent de faim, pourvu que la charia soit respectée.

 

Il y a sans doute une double provenance à tous ces meurtres. Tout le mal dans le monde est fait par les convaincus et les ambitieux, de sorte qu’un sceptique sans ambition est peut-être le seul être innocent sur la terre.

 

D.R.

 

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7 mai 2022 6 07 /05 /mai /2022 01:00

Un maillot que portait le footballeur argentin Diego Maradona lors du match de légende face à l’Angleterre pendant la Coupe du monde 1986 a été vendu aux enchères chez Sotheby’s pour 9,3 millions de dollars (Source : lemonde.fr, 94/05/2022).

 

On pensera d’abord ici à un cadre religieux, la relique du footballeur défunt faisant songer par exemple, en tant qu’objet de dévotion, au Saint Suaire de Turin. Maradona est d’ailleurs devenu effectivement l’objet d’un culte, pris en charge par une Église maradonienne, dont on trouvera les caractéristiques dans Wikipédia, en tapant le nom de cette dernière sur Internet (lien).

 

Pourtant même si formellement ces comparaisons religieuses peuvent se faire, il en est tout autrement des contenus respectifs. Si Maradona peut se comparer au Christ, alors le langage n’a plus de sens. Je sais bien qu’à propos du but marqué de la main contre l’Angleterre le 22 juin 1986 au stade de Mexico il a parlé de la « main de Dieu », incarnant par là le dogme théologique de la rétribution, selon lequel la réussite d’une entreprise montre la préférence divine. Mais outre le fait qu’il est peu moral de voir la tricherie récompensée, se trouvera-t-il quelqu’un de sensé pour égaler Maradona au Christ lui-même, lui aussi « élu de Dieu » ?

 

Le vertige nous prend à voir le prix stratosphérique payé pour la relique. Il est d’une indécence absolue par rapport à l’état de dénuement où vit une grande partie des habitants de la planète. On a l’impression aujourd’hui d’une totale absurdité et d’un total chaos. Toutes les valorisations se mêlent et s’échangent, les plus profondes et les plus ridicules, et même jusqu’aux plus repoussantes, avec une parfaite équanimité. Spéculation et argent fonctionnent abstraitement, sans aucun égard pour la réalité des contenus. Certains artistes même ont fait de leurs propres excréments des œuvres d’art (Source : huffingtonpost, 26/04/2013).

 

D’ailleurs seule l’authenticité de la tunique maradonienne a été contestée par la famille du footballeur, et non pas la démarche même de sa vente aux enchères, ce qui montre que cette famille elle aussi n’est intéressée que par l’argent que peut rapporter la relique. On croit rêver. Dans tout cela on est dans l’irréalité totale, mais si on s’éveille on s’aperçoit que ce rêve est un cauchemar.

 

Il faut décidément rompre avec ce monde de pure facticité, et défendre l’authentique et le profond. Comme dit René Char : « Obéissez à vos porcs qui existent, je me soumets à mes dieux qui n’existent pas. »

 

Le 20 avril 2022, un employé de Sotheby’s ajuste le maillot porté par Diego Maradona pendant la Coupe du monde de 1986. - D.R.

 

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
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