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31 mai 2022 2 31 /05 /mai /2022 01:00

J’

ai vu le film The Artist. Certes c’est un mélodrame, mais je l’ai bien aimé. Il y a un noir et blanc somptueux, épuré, abstrait, à côté duquel toute image en couleurs est d’une extrême banalité. Tout photographe, tout cinéaste qui choisit le noir et blanc a l’élégance du smoking.

 

C’est précisément ce que ne voient pas nos contemporains, qui, paraît-il, n’aiment pas les films passant à la télévision en début de soirée, s’ils ne sont pas en couleurs ! D’où la dégradante colorisation des films initialement tournés en noir et blanc. Imagine-t-on Garbo par exemple, si photogénique dans un noir et blanc savamment éclairé, ainsi colorisée ? Cela révulse d’avance tout cinéphile.

 

Mais ce film, dont on parle maintenant beaucoup et qui vient de remporter trois Golden Glo­bes, m’est l’occasion d’une nouvelle remarque.

 

Il paraît qu’à Liverpool quelques spectateurs britanniques sont ressortis mécontents de la projection. Selon le journal The Hollywood Reporter, la plus grande chaîne de cinéma du pays, Odeon and UCI Cinemas, a dû les rembourser. Le motif ? Ce n’était pas cette fois le noir et blanc, mais le fait que le film est muet. Les spectateurs, dont l’incul­ture n’a d’égale que la stupidité, ont apparemment identifié cinéma parlant et cinéma tout court, et se sont sentis floués de ne pas avoir entendu une seule parole dans la bande-son. Il y avait, selon eux, tromperie sur la marchandise.

 

De cela je tire deux remarques : apparemment certains vont au cinéma machinalement, sans savoir du tout ce qu’ils vont y voir – et peut-être simplement, comme aux États-unis, pour manger du pop corn.

 

Or une œuvre ne nous parle que si elle est préalablement l’objet d’une attente, comme le dit excellemment Valéry dans une inscription du Palais de Chaillot :

 

« Il dépend de celui qui passe      
Que je sois tombe ou trésor          
Que je parle ou que je me taise    
Cela ne tient qu’à toi :      
Ami, n’entre pas sans désir. »

 

Et secondement pour beaucoup le cinéma dit muet (mais combien expressif pourtant dans son langage !) n’est pas du cinéma.

 

Que faire alors pour contrer cette double stupidité ? Faut-il mettre un écriteau d’avertis­sement ? Et engagés sur cette voie, où s’arrêtera-t-on ? Peut-être certains spectateurs de théâtre chez nous demanderont-ils eux aussi à être remboursés, s’ils assistent à une pièce en alexandrins, auxquels ils n’auront rien compris, au motif qu’il leur eût fallu un langage proche du leur ?

 

Il y a, je pense, un seul domaine qui puisse nous donner une parfaite idée de l’infini : la bêtise.

 

Article paru dans Golias Hebdo, 9 février 2012

 

 

D.R.

 

***

 

Cet article est extrait du livre suivant :

Petite philosophie de l'Insolite
Théron, Michel
17,00Livre papier
Lire un extrait

DESCRIPTION

Les textes composant cet ouvrage sont tous parus, sous leur forme initiale, dans un journal hebdomadaire. Ils concernent des sujets d'actualité étranges, bizarres, insolites, souvent amusants, mais se prêtant toujours à un commentaire philosophique. Ils peuvent servir de points de départ pour la réflexion individuelle du lecteur, mais aussi ils peuvent alimenter des débats thématiques collectifs (cours scolaires, cafés-philo, réunions de réflexion...).

 

***

 

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29 mai 2022 7 29 /05 /mai /2022 01:00

Elle constitue un ensemble organique, où tous les membres sont soudés par des liens biologiques, affectifs, et culturels. Ces liens sont sécurisants, et pour cette raison conviennent à certains. Mais aussi, pour d’autres, ils sont étouffants, et empêchent l’émancipation individuelle. On sait la préférence de Jésus par exemple pour la famille spirituelle, et son hostilité vis-à-vis de la famille biologique. Cette dernière en effet est aléatoire, imposée, tandis que ce qui fait la liberté de chacun est l’option affinitaire : « Le sort fait les parents, le choix fait les amis » (abbé Delille).

 

Curieusement je m’aperçois que tout ce que je viens de dire s’applique tout à fait au conflit russo-ukrainien, et donne une clé essentielle pour le comprendre. Vladimir Poutine en effet considère l’Ukraine comme une partie de la grande famille russe. Il se voit comme le successeur de l’Empire de Pierre le Grand, où les Grands Russes de Russie devaient en tant que Grands Frères diriger les Russes blancs (les Biélorussiens) et les Petits russes (les Ukrainiens), l’ensemble formant une entité organique soudée, cimentée par la langue russe.

 

Le problème est que dans cette famille, comme dans toutes les familles, il peut se trouver au cours de l’évolution temporelle des membres qui refusent le mode de vie du Grand Frère, basé sur une idéologie passéiste et mégalomaniaque, sur l’autorité aussi et la violence, pour connaître autre chose, l’expérience de la liberté par exemple. C’est le cas des Ukrainiens, et l’invasion de leur pays n’a fait que les conforter dans le choix d’une opposition libératrice, en sorte que le président russe est en train d’obtenir à maints égards des résultats absolument opposés à ce qu’il cherchait (voir mon article « Ironie », Golias Hebdo, n°722).

 

La langue russe même dont on peut penser qu’elle modèle ceux qui la parlent au même titre que le lait maternel, n’est plus le ciment de ce monde slave dont Vladimir Poutine veut être le garant. En effet il y a en Ukraine, par exemple à Odessa, beaucoup de russophones qui sont depuis l’agression russe devenus russophobes.

 

Il me semble que tout déterminisme qui pèse sur l’individu (langue pratiquée, appartenance ethnique, culture héritée et poids de l’Histoire passée) peut empêcher son évolution et son ouverture vers le nouveau, et doit alors pour cette raison être contesté. Merci à l’Ukraine de nous l’avoir rappelé !

 

Famille toxique - D.R.

***

 

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27 mai 2022 5 27 /05 /mai /2022 01:00

O

n la croyait morte, mais on a tort. J’ai regardé à la télévision quelques moments des récents Jeux Olympiques, et j’ai vu que le nombre est grand des athlètes qui se signent avant l’épreuve, ou bien prient et remercient le ciel, s’ils l’ont emporté.

 

Dès l’Antiquité d’ailleurs on pensait que les vainqueurs l’étaient avec l’aide de Dieu, Deo juvante.

 

Ce réflexe archaïque et invétéré maintient les hommes dans l’enfance, oscillant entre peur et espoir devant une Puissance extérieure dont il faut éviter l’hostilité ou s’attirer la faveur, par des processus magiques et propitiatoires. Et il me semble bien insolite, et en tout cas dérisoire, de voir des adultes, souvent des colosses physiquement, se comporter comme des bébés démunis.

 

La théologie qui sous-tend pareille attitude est celle de la rétribution, selon laquelle ce qui nous arrive est voulu par la Puissance susdite. Échoue-t-on dans ce qu’on entreprend, c’est signe de sa colère, et le malheur qui nous frappe, de notre démérite. Voyez l’expression courante : « Mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour mériter cela ? ».

 

Inversement, réussit-on, c’est signe de notre élection, via une grâce qui nous a été gratuitement octroyée. Où est la responsabilité personnelle dans ce qui n’est au fond qu’une injustice dont on bénéficie ?

 

Finalement, absolution totale est donnée au vainqueur, et oubli est fait des mérites possibles du vaincu. C’est le règne du fait accompli, comme dans les ordalies ou dans les duels judiciaires médiévaux.

 

On sait que l’idéologie du capitalisme états-unien, basée sur l’idée de grâce toute-puissante qui sous-tend un certain protestantisme, glorifie le gagnant, supposé avoir Dieu avec lui, et n’a pas égard au perdant, censé avoir démérité aux yeux de ce même Dieu. Cette vision est appelée aussi parfois « théologie du succès ».

 

Quand les hommes grandiront-ils, et cesseront-ils d’avoir peur de leur ombre, de poser hors d’eux une Puissance qui en réalité est en eux-mêmes ? La religion-superstition est celle qui les y relie et soumet (religare). Quand consentira-t-on simplement à se relire (relegere), et à la trouver au fond de soi ?[1]

 

Article paru dans Golias Hebdo, 15 septembre 2016

 

[1] Sur la différence entre la religion qui lie et celle qui permet de se découvrir, on peut voir mes deux ouvrages La Source intérieure et Peur de son ombre – La Lumière est en nous, BoD, 2017.

 

D.R.

 

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
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