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5 janvier 2020 7 05 /01 /janvier /2020 02:01

J’ai assisté dernièrement à un concert de Noël, où l’on a chanté le fameux Minuit Chrétiens !, qui est comme on a dit la « Marseillaise du croyant ». J’ai donc entendu l’antienne célèbre : « Noël, Noël, voici le Rédempteur ! » Mais la beauté indéniable du chant ne m’a pas empêché de réfléchir, une fois quittée l’église, sur cette idée de rédemption.

 

Elle est centrale dans la construction chrétienne. On le voit même par le refus récent du pape actuel de proclamer un cinquième dogme marial considérant Marie comme la « co-rédemptrice » du Christ (Source : lacroix.com, 13/12/2019). On peut signaler aussi l’existence en catholicisme de la congrégation des Rédemptoristes, etc.

 

L'idée de rédemption est très engageante et gratifiante pour le fidèle, qui n’en saisit pas forcément aujourd’hui l’enjeu : le rachat du péché originel. Dans l’hymne Exultet, chantée le samedi saint, on apprend même que la faute du premier homme a été heureuse, puisqu’elle nous a valu un tel et si grand Rédempteur (Felix culpa, quae talem ac tantum meruit habere Redemptorem). Nous aimons toujours entendre qu’il y a dans chaque faute commise une possibilité de résilience, en somme une « positivité de la négativité ».

 

Mais le texte néotestamentaire peut nous décevoir, car la rédemption dont on s’enchante est en fait une rançon (lutron) : « Le Fils de l’homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup. » (Matthieu 20/28 ; Marc 10/45 ; 1 Timothée 2/6) Bien sûr, si rédemption nous fait plaisir, rançon nous choque. Et pourtant c’est le même mot en français : le premier a sa source dans le second (via un raançon médiéval). « Rédemption » a été ensuite calqué mécaniquement sur le latin redemptio (dont le sens est bien rachat).

 

Cette rançon est versée à Dieu. L’idée qui s’en dégage est celle d’un créancier sévère, qui n’est satisfait que si le débiteur s’acquitte du prix de sa dette. Socin disait bien que si Dieu a été payé par le sacrifice du Fils, il n’a pas pardonné. Pardonner signifie qu’on efface la dette, et non pas qu’on la recouvre. Outre donc l’idée du péché originel, qui fait bon marché de la responsabilité individuelle, l’on peut refuser cette théologie barbare d’un Dieu inflexible, dont il faut même, comme dit le Minuit Chrétiens !« apaiser le courroux ». Elle est autorisée pourtant par les textes susdits.

 

Malgré tout nous continuerons désormais de rêver sur la Rédemption floue, en oubliant la Rançon précise dont elle provient, et le contexte qu’elle suppose. Sans doute y a-t-il des mots qui, comme le disait Valéry, ont plus de valeur que de sens.

 

D.R.

 

 

***

 

Retrouvez tous mes articles de Golias Hebdo, publiés en plusieurs volumes, sous le titre Des mots pour le dire, chez BoD. Sur le site de cet éditeur, on peut en lire un extrait, les acheter... Cliquer : ici.

 

Notez qu'ils sont aussi tous commandables en librairie, et sur les sites de vente en ligne (Amazon, Fnac, etc.).

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1 janvier 2020 3 01 /01 /janvier /2020 02:01

Je reproduis ici, en ce 1e janvier, un article paru dans Golias Hebdo, le 12 janvier 2017, et figurant dans le tome 5 de mon livre de chroniques, Des mots pour le dire (éd. BoD, 2019) :

 

Vœux

 

On en formule à chaque début d’année. Ordinairement on souhaite aux autres la réalisation de leurs désirs. Et si, pour une fois, on essayait de varier la formulation, dire par exemple : « Je vous souhaite de ne pas obtenir, cette année, tout ce que vous désirez » ? Je vois d’ici les réactions : De qui se moque-t-on ? Que lui ai-je fait pour qu’il m’agresse ainsi ? – Et pourtant...

 

Pourtant il y a sûrement quelque sagesse à ne pas vouloir obtenir tout ce qu’on désire. Tout simplement parce que s’il y a obtention, on ne peut plus rien désirer. Il est dur, certes, de ne pas obtenir ce qu’on désire. Mais il peut être aussi dur de l’obtenir. Frustration dans le premier cas, mais déception possible dans le second. On peut donc menacer quelqu’un de l’accomplissement de tous ses vœux. Les dieux nous punissent en nous exauçant.

 

« Le désir fleurit, la possession flétrit toute chose », dit Proust. L’expression : « laisser à désirer », chez nous péjorative, peut être réhabilitée dans un sens positif.

 

Qui ne voit que la vraie fête est la veille de la fête, le vrai dimanche le samedi soir, les vraies vacances le jour où on les prend, et le meilleur moment en amour, quand on monte l’escalier ? L'amour est souvent meilleur dans les rêves que dans les draps. Quand quelque chose a commencé de se réaliser, l’émotion et l’élan initiaux diminuent, et très vite s’installe l’habitude, fossoyeuse du cœur.

 

C’est peut-être pour cela qu’au deuxième jour de la création Dieu ne redit pas que ce qu’il a fait est bon (Genèse 1/8). C’est que ce jour-là n’a plus la plénitude du Jour inaugural, le Jour Un (Genèse 1/5). Les traductions ici par « premier jour » sont fausses, au regard du texte. Il s’agit bien du Jour de l’Unité – en hébreu Yom erad, en grec dans la Septante Hemera mia, en latin dans la Vulgate Dies unus. Ce jour, définitionnel et archétypal, est très différent des suivants, circonstanciés et ontologiquement dégradés du fait de leur inscription dans un processus, un inévitable déroulement, dans l’exil du Temps.

 

Je laisserai sourire les lecteurs, sceptiques devant cet idéalisme, qui chez certains esprits au moins est profondément ressenti. On est souvent plus heureux par ce qu’on attend que par ce qu’on obtient. En somme, on n’est heureux qu’avant de l’être.

 

Pensez à la réponse que fait chez Saint-Exupéry l’aviateur au Petit Prince qui lui demande de dessiner un mouton. Comme aucun mouton dessiné ne satisfait l’enfant, finalement l’aviateur lui dessine la caisse dans laquelle le mouton est contenu, à charge pour lui de l’imaginer.

 

C’est la seule réponse satisfaisante. Je trouve, après Bachelard par exemple, qu’un coffret, une armoire, pourquoi pas l’enveloppe d’une lettre, sont plus attirants fermés, parce qu’on peut davantage imaginer leur contenu. Et je laisserai les analphabètes du cœur se ruer pour les ouvrir...

 

Vœux (2)

 

 

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Retrouvez tous mes articles de Golias Hebdo, publiés en plusieurs volumes, sous le titre Des mots pour le dire, chez BoD. Sur le site de cet éditeur, on peut en lire un extrait, les acheter... Cliquer : ici.

 

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28 décembre 2019 6 28 /12 /décembre /2019 02:01

Quoi de plus touchant et éminemment positif, apparemment, que sa figure ? On pense aux brebis qu’il surveille et protège contre les agressions du loup, par exemple : que seraient-elles, sans sa sollicitude constante ?

 

Il n’est pas étonnant que la Bible développe à partir de cette vision gratifiante une conception pastorale de Dieu d’abord : « L’Éternel est mon berger, je ne manquerai de rien. » (Psaume 23/1). Et ensuite de ses représentants, lorsque par exemple Jésus, lui-même « bon berger » (Jean 10/11), transmet cette fonction à Pierre : « Pais mes agneaux. » (Jean 21/15) Le titre de « pasteur » en milieu protestant atteste de cette belle fonction protectrice.

 

Mais le problème est que le berger n’est pas toujours digne de la fonction dont il se réclame. Certains, loin de protéger des loups, ne sont que des loups déguisés, ravageant en réalité la bergerie.

 

C’est à quoi j’ai pensé en voyant le film autobiographique de Sarah Suco Les Éblouis, où un gourou ou chef de secte, appelé « Le Berger » soumet à son bon-vouloir toute une communauté endoctrinée d’ouailles (au sens du latin oviculae, petites brebis), qui d’ailleurs réclament sa présence en bêlant littéralement.

 

Au nom de l’Esprit, qui décidément peut-être la meilleure et, quand il n’est pas contrôlé, la pire des choses, le chef charismatique soumet ses assujettis à des manipulations mentales, d’humiliantes confessions publiques, procédés totalitaires qui font penser aux procès staliniens (comme dans L’Aveu), des séances d’exorcismes d’une extrême violence, etc. En fait il ne tire son pouvoir que de la projection aveuglée que font les disciples sur sa personne, d’où l’« éblouissement » du titre. Ici j’ai pensé au mot de « berlue », qui vient de l’ancien français belluer « éblouir ».

 

Finalement alors, faut-il abdiquer toute liberté et se mettre à la merci d’un Berger capable seul de nous rassurer, de nous délivrer de nos peurs ? Cette conception pastorale de la religion ne nous condamne-t-elle pas à une hétéronomie fondamentale, alors qu’on pourrait se proposer pour soi un autre idéal, celui d’une autonomie vraiment libératrice ?

 

En fait nous avons peur de notre propre ombre (voir mon livre Peur de son ombre – La Lumière est en nous, éd. BoD, 2017). Et nous nous laissons subjuguer par le premier venu. N’oublions pas que ce mot, où l’on voit aujourd’hui « éblouir », veut dire initialement « dominer », « asservir » (latin subjugare).

 

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D.R. - Cliquer sur l'image pour voir une critique de ce film

 

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).

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