Il arrive très souvent qu’un message, une œuvre soient récupérés, c’est-à-dire vantés et promus par ceux-là mêmes qu’ils veulent mettre en garde ou dénoncer. AinsiLe Mariage de Figaro, de Beaumarchais, attaquant la noblesse et les privilèges de ce qui devait devenir chez nous l’Ancien Régime, a été applaudi par ceux mêmes que la pièce critiquait. Ou récemment, certains humoristes, comme Desproges ou Coluche, ont pu devoir une grande partie de leur succès aux applaudissements de ceux qu’ils attaquaient.
Comment comprendre ce paradoxe ? Incompréhension du message, fascination masochiste pour l’autodestruction ? Je ne sais. En tout cas le phénomène vient encore de se produire. Un jeune britannique de 25 ans est en train de créer un buzz fantastique sur Internet grâce à une vidéo qui précisément attaque Internet et les internautes fanatiques des réseaux sociaux. Intitulé Look up ! (« Lève les yeux ! »), le petit film appelle la jeunesse à se rencontrer physiquement, et non pas à se contenter d’« échanger » sur les réseaux sociaux, pseudo-échange puisque se faisant de façon seulement virtuelle, sans aucun contact avec la réalité. Selon ce clip, « toute cette technologie n’est qu’une illusion, et nous sommes esclaves de nos outils. » (Source : Orange Actus, 12/05/2014)
C’est un fait que les réseaux sociaux, à l’inverse de leur intitulé et de leur prétention, ne font en réalité que désocialiser. Tel internaute raconte sa vie et se met à nu sans aucune pudeur sur Internet, et ne parle pas à son voisin de palier ou à la caissière de son magasin. Des ados se parlent par SMS alors qu’ils sont à quelques mètres l’un de l’autre, etc. Il est donc salutaire de tirer ici la sonnette d’alarme, comme l’a fait notre jeune homme. Cependant je ne sais si les internautes qui lui font fête vont vraiment s’amender et rentrer dans la vraie vie en abandonnant leurs écrans, ou bien si au contraire ce buzz ne va pas se fondre dans la grande masse des autres buzz, qui, comme un soufflé qui retombe, disparaissent sitôt que produits, en attendant le prochain. Dans ce cas-là, le message d’alarme n’aura servi à rien, puisque récupéré pour alimenter très provisoirement ce qu’il voulait dénoncer.
J’ai regardé sur la chaîne LCP l’émission Le Dieu de la Mafia, diffusée le 18 décembre dernier. On y voyait la fréquente collusion entre l’Honorable société et l’Institution ecclésiale. Ces liaisons dangereuses s’expliquaient par la ressemblance des rites d’inclusion, l’adhésion à la mafia se faisant à la façon du symbole chrétien du s sang versé, le candidat garantissant son engagement par une goutte du sien. Mais surtout par une utilisation particulière du sacrement de pénitence (ou de réconciliation).
C’est un processus, comme beaucoup de rites en catholicisme, essentiellement magique. Les paroles prononcées par le prêtre sont auto-réalisatrices, ou performatives. Elles font advenir ce qu’elles énoncent, c’est-à-dire la suppression réelle des fautes avouées par le pénitent. Le prêtre dans ce cas agit in persona Christi, en tant que personne même du Christ. Son pouvoir d’absoudre est celui de Dieu même. Il est sans limite, et à sa totale discrétion. Il tire sa force de la confiance qu’on lui fait, et il est la porte à beaucoup d’abus. On comprend que les protestants l’aient refusé, depuis Luther et l’affaire des Indulgences. Un pasteur aujourd’hui ne dirait pas comme le prêtre « Je t’absous… », mais au mieux : « Que Dieu te pardonne ! »
Mais l’Italie est catholique, et la Mafia s’est engouffrée dans cette vision magique du sacrement, qui favorisait sa propre activité. On pouvait accomplir les pires méfaits, on était sûr qu’en les avouant à un prêtre, avec quelque regret bien sûr de ce qu’on avait fait, on s’en trouverait délivré, et à l’abri de toute représailles, puisqu’on bénéficiait du secret de la confession. Le prêtre quant à lui pensait ne pouvoir refuser de sauver une âme en péril, ce qui aurait contredit sa conscience. Il ne pouvait non plus conseiller au pénitent de livrer ses complices, car cela aurait été se rendre coupable de la délation, la pire faute pour un mafieux, assimilée à la trahison de Judas. Absous une fois en attendant la prochaine, il pouvait ne rien changer à sa conduite, une arme dans une main, et la Bible dans l’autre.
Bien sûr l’Église depuis a évolué, et le pape a condamné la mafia. Mais il n’a pas été jusqu’à mettre en question le présupposé qui pouvait rendre objectivement complices le délinquant et son confident : la vision magique d’un rite attestant un pouvoir divin, séparé de toute justice proprement humaine.
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Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).