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10 septembre 2022 6 10 /09 /septembre /2022 01:00

E

ntrée en vigueur depuis le 1e janvier, une nouvelle loi promulguée en Irlande fait du blasphème une infraction punie par la loi, d’une amende pouvant aller jusqu’à 25 000 euros. Outre le côté archaïque de la chose, il importe à mon avis d’en souligner le contenu extrêmement naïf.

 

L’idée de blasphème suppose un lien fort, de type reproductif, entre la  représentation d’une chose et la chose elle-même. Or, dans quelque langage que ce soit, la représentation de quelque chose n’est pas la chose. Représenter n’est pas reproduire. Le mot chien ne mord pas, il n’est qu’un son, au reste différent dans les différentes langues : on le sait depuis l’épisode biblique de Babel, où Dieu a diversifié les langues pour confondre les hommes.

 

Pareillement dans le monde des images, ainsi que Magritte par exemple l’a bien montré. Sous l’image très ressemblante ou réaliste d’une pipe, il a mis en légende : « Ceci n’est pas une pipe », voulant signifier par là que ce n’en est qu’une image, une représentation. Nous sommes dupes ici d’une vieille illusion : l’illusion référentielle. Les signes en vérité, s’ils font bien penser aux choses, ne les contiennent pas, dans tous les sens de ce mot – recéler, et limiter.

 

On peut penser à Cratyle qui dans le dialogue éponyme de Platon croit sans réfléchir à ce lien intrinsèque entre le signe verbal et la chose qu’il désigne. Et aussi à la querelle qui opposait au Moyen Âge les Réalistes aux Nominalistes. Les premiers défendaient une adhérence du signe à la chose, que les seconds niaient.

 

Ce sont pourtant eux qui avaient raison, et que les modernes ont rejoints. Voyez par exemple Mallarmé déplorant le total arbitraire du signe, ou, comme il disait, « le hasard demeuré aux termes » : ainsi jour est obscur par le son, et clair par le sens, et c’est exactement l’inverse pour nuit. Prenez aussi le cas de l’adverbe compendieusement, mot très long qui signifie tout simplement : bref. Comment adhérer encore ici au cratylisme, et échapper au conventionnalisme ?

 

La position nominaliste est la plus pieuse il me semble, puisqu’elle rend mieux compte de la transcendance de Dieu : comment penser qu’il se résume au nom qui l’exprime, ou à telle image censée le représenter ?

 

La théologie négative ou apophatique proscrit même à son propos tout langage, dont l’impor­tance dès lors est totalement dévalorisée. Dieu est plus grand que tout ce qu’on peut en dire, comme il se voit dans l’expression arabe Allah akbar !, où akbar est un comparatif (dit ici élatif).

 

Le franciscain Guillaume d’Ockham, chef des Nominalistes, fut quant à lui excommunié en 1330. Il faut réhabiliter cet « hérétique », pour avoir bien compris que Dieu excède tout discours et toute représentation humains – et donc que la notion de blasphème à son égard n’a aucun sens.

 

[v. Iconoclasme]

Article paru dans Golias Hebdo, 21 janvier 2010

 

D.R.

 

***

 

Cet article est extrait de mon ouvrage en deux tomes Chroniques religieuses, édité chez BoD. On peut les feuilleter en cliquant ci-dessous sur Lire un extrait. Et on peut les acheter sur le site de l'éditeur en cliquant sur Vers la librairie BoD :

 

Chroniques religieuses
Théron, Michel
14,00Livre papier
Lire un extrait

DESCRIPTION

Les textes composant cet ouvrage sont une sélection d'articles parus dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils concernent toujours directement ou indirectement des sujets ayant trait à la religion et à la spiritualité. Vu leur brièveté (deux pages), on peut en faire une lecture picorante et fragmentée. Ce livre n'est pas un traité systématique, mais un recueil familier permettant de petites méditations quotidiennes sur des sujets concrets.

Chroniques religieuses
Théron, Michel
16,00Livre papier
Lire un extrait

DESCRIPTION

Les textes composant cet ouvrage sont une sélection d'articles parus dans un journal hebdomadaire. Souvent inspirés par l'actualité, ce qui les rend plus vivants, ils concernent toujours directement ou indirectement des sujets ayant trait à la religion et à la spiritualité. Vu leur brièveté (deux pages), on peut en faire une lecture picorante et fragmentée. Ce livre n'est pas un traité systématique, mais un recueil familier permettant de petites méditations quotidiennes sur des sujets concrets.

 

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8 septembre 2022 4 08 /09 /septembre /2022 01:00

Je crée ce néologisme en pensant à ce qu’a dit dernièrement Bernard Cazeneuve à propos de l’OPA de la France Insoumise sur le PS : « La gauche est sous la domination de Jean-Luc Mélenchon et la direction du PS s’est laissée toutouiser » (Francetvinfo.fr 04/09/2022)

 

Ce mot me plaît d’autant plus qu’exactement au même moment vient se s’ouvrir à Paris un Hôtel de luxe pour accueillir les chiens. La coïncidence me semble intéressante, et si j’étais partisan de la synchronicité jungienne j’y verrais un évident signe, ou un clin d’œil, du destin.

 

Donc rien ne sera assez beau pour nos toutous. Ils vont connaître la vie de Palace, ils pourront bénéficier de soins cosmétiques, de séances de luminothérapie, de spa, de massages, etc. Les humains n’ont pas droit de cité dans cet Hôtel du 1e arrondissement (leparisien.fr, 04/09/2022).

 

Je ne sais où va s’arrêter, chez certains, la dévotion portée à leurs chiens. Dans un pays où les Restaus du cœur, les Banques alimentaires s’efforcent tant bien que mal d’empêcher les gens de mourir de faim, voici que des inconscients riches au-delà de toute mesure ne savent pas quoi faire pour choyer leurs compagnons à quatre pattes. Véritablement c’est comme s’ils ne voient pas entre ces derniers et eux-mêmes de différence. C’est comme s’ils étaient eux-mêmes toutouisés – comme le PS mélanchonisé !

 

Ce Palace canin est une insulte au citoyen moyen. Il faut dans ces choses un minimum de décence, la common decency orwellienne, qui ici n’a pas été respecté. Autrefois les riches ne s’étalaient pas autant, par précaution. Mais aujourd’hui ils le font, par vantardise. Ils suivent là l’exemple donné par les États-Unis, où l’on n’a aucun scrupule à afficher sa richesse.

 

1% des habitants de la terre ont des richesses équivalentes à toutes celles qu’ont les 99% restants. « Nous sommes 99% », tel est le slogan du mouvement « Occupons Wall Street ! », né en 2011. Même si l’inégalité sociale est astronomique, le peuple a le nombre pour lui. Les milliardaires toutouisés, les dévots des chiens pourraient y réfléchir. Et penser aussi qu’en d’autres pays, en Extrême Orient par exemple, on ne les adore pas, mais on les mange.

 

D.R.

 

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6 septembre 2022 2 06 /09 /septembre /2022 01:00

E

lle est faite, selon le mot d’André Malraux, d’un « misérable petit tas de secrets ».

 

Autrement dit, la vie d’un homme n’appartient qu’à lui. L’important est ce qu’il pense et transmet aux autres par sa parole, ses écrits, ses œuvres, etc.

 

Or j’ai appris, par un article paru sur le site du Monde (19/09/2012), que vient d’être relancé le débat sur le mariage de Jésus. On a en effet trouvé un fragment d’évangile copte du 4e siècle, sur lequel on lit le membre de phrase suivant : « Et Jésus leur a dit : ‘Ma femme…’ » On imagine le frémissement des gens d’Église, héritiers de la tradition selon laquelle Jésus n’était pas marié…

 

Or cette dernière n’est apparue en christianisme que tardivement. Il y a de grandes chances d’ailleurs que Jésus en tant que juif, appelé même « rabbin » dans l’Évangile, ait été naturellement marié, le célibat étant considéré en judaïsme comme une anomalie. Les Esséniens, qui le pratiquaient, étaient fort marginalisés.

 

Simplement il y a eu des mouvements ascétiques chrétiens comme celui des Encratites, et progressivement la misogynie chrétienne s’est étendue, jusqu’à l’imposition finale du célibat au prêtre, sorte d’image du Christ, vu lui-même comme célibataire. Le motif fut d’ailleurs bien prosaïque : on a voulu éviter le népotisme, la partialité familiale, et aussi la dispersion, par le mariage et les héritages afférents, du patrimoine de l’Église.

 

On nous dit qu’aucune mention d’un Jésus marié ne se trouve dans les textes canoniques. Soit. Mais il y a un sophisme de méthode. Le texte reçu peut bien ne pas dire que Jésus était marié, mais il ne dit pas non plus qu’il ne l’était pas.

 

Pareillement, pour condamner le rire, au motif qu’il donne à l’homme une face simiesque, on a prétendu que Jésus n’a pas ri, comme le dit Umberto Eco dans Le Nom de la Rose. Or que le texte ne nous montre pas un Jésus riant ne veut pas dire qu’il n’a jamais ri. L’argument dit a silentio (tiré par l’absence de mention) n’est jamais probant.

 

La vérité est que, pour les rédacteurs des textes initiaux, des faits de ce genre n’ont aucune importance par rapport à l’essentiel, qui est la transmission d’un message, d’un enseignement.

 

Mais on est tellement friand de détails de vie, et aussi, dans le cas des dirigeants désireux d’asseoir leur pouvoir sur la foule en la faisant rêver sur des fictions, que le comment a remplacé le quoi, et que, selon le procédé dit aujourd’hui du storytelling, la Bonne nouvelle au sujet du Christ (Evangelium de Christo) a très vite supplanté la Bonne nouvelle du Christ (Evangelium Christi). C’est à cette dernière, toute invention biographique ôtée, qu’il faudrait, me semble-t-il, revenir.

[v. Crèche, Historicité]

Article paru dans Golias Hebdo, 4 octobre 2012

 

D.R.

 

***

 

Cet article est extrait de mon ouvrage en deux tomes Chroniques religieuses, édité chez BoD. On peut les feuilleter en cliquant ci-dessous sur Lire un extrait. Et on peut les acheter sur le site de l'éditeur en cliquant sur Vers la librairie BoD :

 

Chroniques religieuses
Théron, Michel
14,00Livre papier
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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).

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