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e viens d’entendre que 60% des états-uniens sont créationnistes : ils forment donc un lobby puissant capable de faire à telle occasion basculer les élections dans le camp conservateur, au risque de transformer la démocratie de leur pays en théocratie. On sait que Ronald Reagan naguère préférait descendre d’Adam plutôt que du singe, position reprise plus tard sous l’ère Bush.
Cette idée de création du monde ex nihilo (à partir de rien) vient de la traduction que Jérôme a faite, en sa Vulgate, du second mot hébreu de la Genèse : il a mis creavit (Dieu créa), alors qu’il aurait tout aussi bien pu mettre fecit (Dieu fit), comme l’a fait la Septante en mettant le mot poïein.
La différence ? C’est que faire peut tout simplement dire façonner, organiser, mettre en ordre, ici par séparations successives, une matière qui peut très bien être préexistante, un peu comme le potier fabrique un pot à partir de l’argile. La transcendance de Dieu en est peut-être diminuée, mais le sens symbolique du texte peut s’y mieux percevoir : il s’agit à partir d’un tohu-bohu ou d’un chaos initial de faire émerger un ordre, ainsi qu’il se voit dans d’autres récits des origines comme la Théogonie d’Hésiode. Cette version symbolique du début de la Genèse, tout le monde peut la partager, ne serait-ce qu’en considérant comment l’esprit humain lui-même met de l’ordre dans le chaos de ses perceptions.
Il suffit de voir comment chaque matin pensée et conscience s’éveillent en nous dans la pénombre de notre chambre. D’abord il y a, obscurément, quelque chose ; et puis, émergeant progressivement du chaos, des choses : là mon armoire, là ma commode, là mon fauteuil, etc. Ainsi refaisons-nous quotidiennement le travail de Dieu au début de la Genèse – avant notre nouveau lever, ou littéralement notre résurrection.
Nos créationnistes fondamentalistes n’entrent pas dans de telles subtilités. Ils parlent de l’inerrance biblique (la Bible ne se trompe jamais), sans se poser même la question de la traduction qu’ils utilisent. Mais le fond du problème est qu’ils refusent ici toute idée de hasard, le monde étant pour eux admirablement agencé.
Dernièrement, ils ont développé l’idée d’un Intelligent Design (I.D.), qui n’a de scientifique que le nom, et qui ne fait en réalité que reprendre ce que dit le Psalmiste : « Les cieux chantent la gloire de Dieu. » (19/2)
Mais d’abord cette gloire, les aveugles ne la voient pas, ainsi que le souligne Diderot dans sa Lettre sur les aveugles. Ensuite, nos créationnistes devraient lire la critique que fait Spinoza du finalisme, dans l’Éthique : « Ce qu’on appelle cause finale n’est rien d’autre que le désir humain en tant qu’il est considéré comme cause d’une chose. » En vérité, le sens auquel ils s’accrochent n’est que le désir qu’ils ont de sa présence, et rien de plus.
[v. Finalité, Réponse]
Article paru dans Golias Hebdo,11 novembre 2010
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Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.
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