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21 novembre 2023 2 21 /11 /novembre /2023 02:00

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n la dévalorise souvent, au bénéfice de l’histoire objective : dans une époque positiviste, on préfère les faits aux fées.

 

Pourtant on oublie que ce qui meut les peuples, c’est moins leur histoire réelle que les mythes qu’ils ont inventés à son propos. L’homme descend du Songe : il est le fruit de ses propres fictions.

 

Par exemple l’embuscade dont fut victime Roland à Roncevaux nous est bien contée par Éginhard pour ce qu’elle fut : un simple traquenard tendu par des bandits basques, donc chrétiens, contre l’arrière-garde de l’armée de Charlemagne. Mais nous préférons la version héroïsée de la Chanson de Roland, qui attribue la mort du preux à une lutte contre les Sarrasins. Toute notre épopée nationale vient de cette fiction, de cette légende, qui seule a prévalu.

 

Comme dit James Steward au journaliste à la fin du film de John Ford L’Homme qui tua Liberty Valance : « Si les hommes préfèrent la légende, alors imprimez la légende ! » – Voyez aussi la déconstruction de la légende du western que fait le film de Clint Eastwood Impitoyable.

 

J’ai lu sur Internet un article très documenté questionnant l’historicité de ce qu’on nous a rapporté à propos de Jésus : Jésus-Christ, un mythe ? (Source : Lactualité.com, 23/03/2016). [lien]

 

Il s’inspire de Bart Ehrman, grand spécialiste américain du Nouveau Testament, auteur de l’ou­vrage Jesus Before the Gospels : How the Earliest Christians Remembered, Changed, and Invented Their Stories of the Savior (Jésus avant les Évangiles : comment les premiers chrétiens ont conservé, modifié et inventé leurs récits du Sauveur). Il est impossible selon lui que les évangélistes se souviennent exactement des paroles du Christ, alors qu’ils en ont écrit le compte rendu au moins un demi-siècle plus tard.

 

Allant plus loin, le chercheur américain Richard Carrier, auteur d’On the Historicity of Jesus : Why We Might Have Reason for Doubt (L’historicité de Jésus : pourquoi il est permis d’avoir des doutes), va jusqu’à mettre en doute l’historicité même de Jésus, pour lui un personnage messianique créé par un groupe populaire opposé à l’élite du Temple de Jérusalem. J’ai évoqué cette option dans l’article « Mythistes » de mon Petit lexique des hérésies chrétiennes (Albin Michel, 2005).

 

Rien de tout cela ne doit émouvoir. Qu’on ait ajouté au message de Jésus, ou qu’il soit un être fantasmatique créé de toutes pièces, reste pour nous ce qu’on nous en a dit, qui fait son chemin dans nos esprits et nos âmes, et guide parfois les meilleurs de nos élans. Cela suffit.

 

[v. Fiction, Inscription, Invention]

 

Article paru dans Golias Hebdo, 21 avril 2016

 

#Mythe. #Histoire. #Enseignement.
D.R.

 

***

 

Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.

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19 novembre 2023 7 19 /11 /novembre /2023 02:00

À l’occasion de l’actuel conflit du Proche Orient, beaucoup de pays amis d’Israël lui ont fait part de leur soutien « inconditionnel ». Cela partait certes d’un bon sentiment, vu l’émotion immédiate causée par les massacres du Hamas. Mais une fois celle-ci retombée, la formule a de quoi laisser perplexe.

 

Elle laisse à celui qui en bénéficie une totale carte blanche, lui permettant de répondre à l’agression comme il le veut. Ce dont ne s’est pas privé le pouvoir israélien, avec son intervention à Gaza, qui fait penser à la formule de Tacite à propos des exactions des Romains soi-disant pacificateurs : Ubi solitudinem faciunt, pacem appelant – Où ils font un désert, ils disent qu’ils font la paix.

 

On parle ici de loi du talion. Mais c’est se tromper sur l’expression. Car le talion (du latin talis, tel) est une notion déjà civilisatrice, destinée à modérer l’intensité de la vengeance. Il implique réciprocité, et donc proportionnalité, ce qui se résume dans la formule connue : « Œil pour œil, dent pour dent ». On met un frein à l’exercice de la violence. Ensuite tout au long du processus civilisateur ce sera à la justice de remplacer la vengeance elle-même.

 

Mais Israël se maintient actuellement dans le désir de vengeance, et dans les faits sa réaction est hors de toute proportion. Donc au-delà de toute raison, si on songe que raison (ratio) et proportion (proportio) ont la même racine latine. La ligne qu’il a choisie fait penser à ce que dit la femme autoritaire chez Juvénal : Hoc volo, sic jubeo, sit pro ratione voluntas ! – Je le veux, je l’ordonne, et que ma volonté tienne lieu de raison !

 

Cette attitude renvoie à celle du Dieu biblique, qui fait grâce à qui il fait grâce, et a pitié de qui il a pitié. Aucune explication ne s’en peut obtenir. Cette toute-puissance écrasante qui ne rend jamais de comptes peut détruire un humain sensible, comme il se voit dans la Lettre au Père de Kafka. Mais un homme, être de raison, peut-il rêver de se comporter comme Dieu ? Certains l’ont fait pourtant, jusqu’à prétendre en être son bras armé.

 

Il y a danger à prendre dans la vie des décisions « inconditionnelles ». Il faut toujours modérer celles qu’on est amené à prendre par un examen rationnel de la situation. Pour le fond, je comprends bien qu’ici elle est inextricable. Au moins les partisans d’Israël auraient-ils pu, en lui manifestant leur soutien, supprimer ce qualificatif.

 

D.R.

 

***

 

Sur la colère autosuffisante du Dieu biblique, voir :

 

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17 novembre 2023 5 17 /11 /novembre /2023 02:00

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n vante sa pureté, et on l’oppose aux fantaisies plus ou moins exotiques que nous voyons aujourd’hui dans le polythéisme.

 

Voyez par exemple avec quelle familiarité impertinente Offenbach traite les frasques des dieux de l’Olympe. Ils apparaissent si proches de nous que nous ne pouvons évidemment qu’en rire.

 

Pourtant le polythéisme a fait beaucoup moins de mal dans l’histoire des hommes que le monothéisme.

 

En effet, quand la puissance suprême est divisée entre plusieurs dieux, qui souvent se disputent entre eux, l’homme en devient plus indécis, plus prudent, plus relativiste. Par exemple le partage des dieux en deux camps dans l’Iliade, ceux qui soutiennent les Grecs et ceux qui soutiennent les Troyens, mène à penser aussi à un général partage des valeurs, une ambiguïté axiologique fondamentale, à l’opposé total du manichéisme. Par voie de conséquence l’homme est moins porté à imposer aux autres une volonté qui émanerait d’un dieu unique dont il s’imaginerait le détenteur et très souvent le bras armé.

 

Certes il y a eu des guerres dans le monde antique, par exemple celle qui opposa Sparte à Athènes. Mais le motif n’en était pas du tout religieux. À l’inverse, le monothéisme a très souvent été instrumentalisé et transposé dans le domaine politique, d’où des guerres dites « saintes », où chacun, sûr de son bon droit et d’être l’agent de la volonté d’un Dieu unique, a étripé un adversaire senti comme un ennemi de ce point de vue. Croisades et Djihad belliqueux obéissent au même schéma.

 

Et à l’intérieur même de chaque religion monothéiste se sont produits des conflits sanglants : catholiques contre protestants en christianisme, chiites contre sunnites en islam, etc. Dans le monde antique au contraire la notion d’hérésie n’existait pas. Quand un nouveau dieu apparaissait, les Romains s’empressaient, non de l’atta­quer, mais de l’intégrer dans leur panthéon, fidèles en cela à la belle devise de Symmaque :

 

« Uno itinere non potest perveniri ad tam grande secretum       
– On ne peut parvenir à un si grand mystère par une seule voie. »

 

Je conseille à mes lecteurs de lire là-dessus les ouvrages de Jacques Soler, comme Le Sourire d’Homère (2014), et Dieu et moi (2017). Voir en particulier l’interview qu’il a donnée au Point sur la supériorité, même aux yeux de l’athée qu’il est, du polythéisme par rapport au monothéisme (Lepoint.fr, 21/03/2017).

 

Article paru dans Golias Hebdo, 21 septembre 2017

 

#Monothéisme. #Polythéisme. #Violence. #Intolérance. #Fanatisme.
D.R.

 

***

 

Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.

 

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
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