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9 décembre 2023 6 09 /12 /décembre /2023 02:00

J

e viens d’y être encore plongé avec le dernier film sur la foi que je viens de voir : La Prière, de Cédric Kahn.

 

J’avais déjà eu des réticences avec Des Hommes et des Dieux, de Xavier Beauvois, et avec L’Appa­ri­tion de Xavier Giannolli, à cause d’une vision traditionnelle et doloriste de la foi catholique [v. Dolorisme et Dolorisme (suite)].

 

Ensuite c’est Marie-Madeleine qui m’a ennuyé par son académisme, exception faite de la toute dernière séquence sur la nécessité d’intérioriser le Royaume [v. Royaume].

 

Et maintenant c’est seulement le dernier plan du film de Cédric Kahn qui m’a intéressé. Si cela continue, j’irai voir les films de ce type juste quelques secondes avant la fin de la projection !

 

L’histoire est celle de la rédemption d’un mauvais garçon, calquée sur le mythe chrétien du rachat majo­ritaire depuis saint Paul, et que j’ai trouvée banale parce que mille fois vue : voyez par exemple tous les films de Scorsese, avant le remarquable Loup de Wall Street, dont la fin refuse tout rachat de ce type.

Devant tant de positivité, j’ai pensé à la phrase de Gide : « On ne fait pas d’œuvre d’art sans la collaboration du Démon ». On a cité Bresson : mais ce dernier n’élude pas la négativité, au contraire. C’est elle qui triomphe à la fin du Diable probablement, avec le suicide du héros. Les cheminements de la grâce se font chez lui par de bien plus tortueux abîmes.

 

Dans le film le jeune garçon revenu à Dieu veut se faire prêtre. Mais le souvenir d’une relation avec une jeune fille fait qu’il hésite. En route pour le séminaire, il bifurque brusquement et va retrouver la jeune fille. Le film s’arrête là-dessus, fort habilement. À nous de conclure : vient-il lui faire ses adieux ? Ou veut-il vivre avec elle, et renoncer à la prêtrise ?

 

Finalement seul ce dilemme m’a intéressé. J’ai réfléchi à l’absurdité du célibat des prêtres, même paré du nom de sacrifice. Et j’ai repensé à cette réplique du film de Buñuel Belle de jour : Semen retentum venenum est (Retenir sa semence est un poison). Quelle violence dans cette attitude ! Violence faite à soi d’abord, et dont les autres même peuvent pâtir. Dommage qu’il faille attendre ce dernier plan pour y réfléchir !

 

Article paru dans Golias Hebdo, 5 juillet 2018

 

#Christianisme. #Rachat. #Royaume.
D.R.

 

***

 

Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.

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7 décembre 2023 4 07 /12 /décembre /2023 02:00

J’

entends par ce mot ici l’activité d’un pasteur s’occupant de son troupeau, en prenant le mot bien sûr au sens symbolique.

 

Or il se trouve que dans la présente crise du coronavirus le conseil scientifique chargé d’éclai­rer le gouvernement vient de lui conseiller de favoriser la mise en place d’un « soin pastoral » à l’intention des citoyens, et pour cela de créer « une permanence téléphonique nationale d’accompagnement spirituel inter-cultes », dont la gestion sera confiée aux représentants des principales religions présentes sur notre territoire (Source : ufal.org, 27/03/2020).

 

Il est évident que cette mesure contrevient totalement au principe de laïcité, la république chez nous ne reconnaissant aucun culte. Beaucoup l’ont déjà remarqué. – Mais ce qui m’intéresse ici est l’idée même qu’il faudrait à un ensemble d’hommes un « pasteur » pour les guider.

 

J’ai déjà souligné à propos du film Les Éblouis les dangers d’infantilisation qu’il y a dans cette façon de voir. [v. Berger]

 

Cette conception pastorale de la religion réduit les fidèles, les ouailles (littéralement les petites brebis : oviculae) à une totale hétéronomie, alors qu’on leur souhaiterait au contraire l’accès à l’autonomie. Le Grand Inquisiteur dans Les Frères Karamazov de Dostoïevski fait tomber le masque ici : les dignitaires de l’Église dispensent les croyants de base qu'ils dirigent de réfléchir, car la réflexion serait trop angoissante pour eux. Sois sans crainte, petit troupeau : nous pensons pour toi.

 

Mais ce raisonnement ecclésial est tout à fait transposable au monde politique. Le rôle du chef ou du guide (certains sont de très fâcheuse mémoire) est de penser à la place des citoyens, éventuellement de les rassurer, de les consoler. Le « soin pastoral » devient une nouvelle figure de ce Care dont on parle beaucoup aujourd’hui (Prenez-soin de vous, etc.), dans une modalité paternaliste.

 

Tocqueville a bien montré, dans un chapitre lumineux de De la démocratie en Amérique (IV, VI), que la dépossession du citoyen au bénéfice de l’État et de ses représentants est une tentation constante des sociétés modernes, qui les mène à aliéner leur liberté au profit du Pouvoir, et au despotisme doux de ce dernier. Par apathie, les hommes se laissent guider. Et le danger qui guette les démocraties modernes n’est pas l’anarchie comme on pourrait le penser (et comme encore le croyait Montesquieu dans L’Esprit des lois), mais bien la soumission grégaire asservie à un Pouvoir omnipotent et consolateur.

 

Or, en particulier dans une crise sanitaire comme celle que nous connaissons, on n’a pas besoin de consolation, mais simplement d’informations. Sinon on reste irrévocablement dans l’enfance. Bonne nuit, les petits !

 

Article paru dans Golias Hebdo, 30 avril 2020

 

#Religion. #Politique. #Hétéronomie. #Autonomie.
D.R.

 

***

 

Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.

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5 décembre 2023 2 05 /12 /décembre /2023 02:00

S

es nécessités passent souvent avant la réflexion et l’examen personnels. C’est sans doute dommage, mais cela est.

 

C’est ce que je me suis dit après une discussion avec un prêtre de mes amis. Il a convenu bien volontiers avec moi que beaucoup de dogmes et enseignements de l’Église étaient caducs, mais il a ajouté qu’il était nécessaire de continuer à les défendre publiquement, pour des raisons précisément de pastorale, c’est-à-dire, en clair, pour ne pas choquer les fidèles en les déstabilisant par la remise en question de tout ce qui leur a été inculqué depuis leur enfance. [v. Con­seil]

 

Cette opposition entre pastorale et recherche est classique. Ainsi il y a eu des papes pasteurs, comme Jean-Paul II, et des papes théologiens, hommes de cabinet ou de réflexion solitaire, comme Benoît XVI. Les seconds ont moins d’aura, de charisme, que les premiers. Comme si la foule préférait toujours suivre par empathie celui qui les guide, que réfléchir sur la réelle pertinence de ce qu’on lui dit de croire. Apparemment c’est la règle...

 

La conversation avec mon ami m’a amené à deux conclusions. D’abord qu’il y a souvent un fossé énorme entre ce qui s’échange librement en privé, et ce qui se dit en public. Tel esprit est ouvert et se confie en toute liberté à ses amis, qui au contraire coram populo endossera un rôle et répètera un catéchisme.

 

Ce n’est pas propre en monde chrétien au monde catholique : c’est vrai de toutes les confessions. C’est pourquoi j’ai pu parler à ce propos, y incluant les pasteurs protestants, de Schizophrénies religieuses (Golias Magazine, n°115).[1]

 

En second lieu, je trouve bien dommage de continuer à admettre ce double langage. J’ai pensé à ce que dit le prêtre à K. à la fin du Procès de Kafka, à propos de la parabole de La Porte : « On n’est pas obligé de croire vrai tout ce qui est dit, il suffit qu’on le tienne pour nécessaire. » À quoi K. répond, de façon à mon avis fort pertinente : « Triste opinion… elle élèverait le mensonge à la hauteur d’une règle du monde. »

 

Faut-il, pour garantir la pérennité d’une Institution, maintenir les ouailles, les petites brebis, dans l’aveuglement ? Je ne le pense pas.

 

Article paru dans Golias Hebdo, 6 octobre 2016

 

[1] Cet article « Schizophrénies religieuses » peut être rapproché de mon article « Peur de son ombre ».

 

#Religion. #Pastorale. #Théologie.
D.R.

 

***

 

Ce texte est extrait d'un des deux tomes de mon ouvrage Chroniques religieuses. Pour plus de détails sur ces deux livres, cliquer: ici.

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).

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