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7 avril 2024 7 07 /04 /avril /2024 01:00

J’ai vu sur Arte, le 23 avril dernier, le film La Confession, de Nicolas Boukhrief, inspiré du roman Léon Morin prêtre de Béatrix Beck (prix Goncourt 1952). L’héroïne est une jeune femme communiste athée qui par bravade entreprend une relation avec un prêtre, dont finalement elle tombe amoureuse. Mais lui la repousse catégoriquement, et cet amour qui lui est offert se heurte chez lui, même si secrètement il peut lui être sensible, à une armure sans faille, où j’ai vu pour ma part un bloc inexpugnable de doctrine.

 

Le principal moteur de l’histoire est évidemment le caractère sacré du prêtre, au sens propre de séparé des autres hommes, et agissant in persona Christi (dans la personne du Christ), par exemple dans la pratique de la confession, qui est un motif essentiel et une scène récurrente du film. Je me suis alors demandé d’abord si ce non possum du prêtre, ce refus de partager l’amour qui lui est porté, était bien compatible avec un minimum d’humanité. S’accordait-il ensuite avec les textes évangéliques, dont pourtant se réclame toute la construction chrétienne ? Jésus ne laisse-t-il pas venir à lui telle pécheresse dont il nous dit qu’en l’approchant elle a montré beaucoup d’amour (Luc 7/47) ?

 

Je sais bien qu’on peut dire qu’il y a amour et amour, en pensant par exemple aux anciens Agapètes, qui en mêlaient les genres (rien d'impur pour qui est pur). Mais réflexion faite je ne suis pas d’accord avec leur condamnation pour hérésie, pas plus qu’avec les censeurs ecclésiaux et doctrinaires qui pourraient prétendre encore trancher entre amour humain et amour divin. Qui nous dit d’ailleurs que le premier ne peut pas être une propédeutique ou une anticipation du second ? Et que penser du refus que le prêtre lui oppose d’emblée, au risque de condamner celle qui le lui offre à un reste de vie fait de frustration et de douloureux échec, comme dans le film, ou même à la mort volontaire comme dans La Faute de l’abbé Mouret, de Zola ? Suffit-il de pleurer sur l’éternel mélodrame de l’invitus invitam (ils se séparèrent malgré lui, malgré elle) ?

 

Mais heureusement on vient d’apprendre qu’en Espagne l’évêque émérite de Solsona, Mgr Xavier Novell, qui avait démissionné de sa charge en 2021, à l’âge de 52 ans, a obtenu une dispense du pape François pour pouvoir se marier à l’église avec la psychologue et écrivaine Silvia Caballol (Source : cath.ch, 02.04.2024) Allons ! La doctrine n’est peut-être pas inflexible !

 

D.R.

 

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5 avril 2024 5 05 /04 /avril /2024 01:00

L

a presse s’est fait récemment l’écho d’expositions de véritables cadavres, plastifiés par les soins d’un anatomiste allemand, dans un but présenté comme pédagogique. Maintenant interdit en France, ce genre de manifestation a lieu encore à Berlin, où l’on montre même des cadavres en train de copuler !

 

La mort est une langue étrangère, en ce sens qu’on ne sait rien d’elle, ni s’il y a quelque chose après, ni s’il n’y a rien. Ce qui nous est montré ici par conséquent, la réalité purement matérielle de ce qui reste quand la vie a disparu, ne l’épuise pas. Ne serons-nous vraiment que cela, quand nous passerons sur l’autre rive, dont personne n’est jamais revenu pour nous dire ce qu’on y trouve ?

 

La sagesse serait ici d’accepter l’ignorance. La mort n’est pas que ce que nous en voyons. Et quand elle nous atteint, nous ne nous réduisons pas à elle. Il y a barbarie à la ramener au cadavre, au seul trépas, à quoi de telles expositions nous exposent.

 

De toute façon ce voyeurisme malsain est pris dans le grand circuit mercantile, où on fait argent de tout. On soupçonne que tels cadavres exposés sont ceux de condamnés à mort en Chine. Pourquoi alors ne pas en revenir aux exécutions publiques, et même payantes ?

 

Il se peut aussi que donner son corps à exposer ainsi soit pour certains une ressource financière, ou une façon d’éviter les frais des funérailles, ou une manière tout à fait irrationnelle de survivre et d’éviter la pourriture dans la terre, ou l’éva­poration en fumée de l’incinération.

 

Obscène, cette spectacularisation est aussi morbide. Car respecter les morts, ce n’est pas les avoir constamment sous les yeux, c’est se séparer d’eux, ne plus vivre à leur contact, les « tuer » comme on dit en Afrique, c’est-à-dire les transformer en ancêtres, qu’on ne voit plus mais auxquels on pense. La vie est à ce prix.

 

On leur affecte un jour dans l’année, le lendemain de la Toussaint chez nous, et ensuite on revient à la vie. Sinon on est un mort-vivant, un vampire : celui que la mort possède encore, et empêche de vivre. Pareille obsession possède le héros du film de Truffaut La Chambre verte, ainsi que celui de Dracula, de F-F. Coppola.

 

Ce n’est pas pour rien que l’Église, qui condamne le divorce, admet le remariage des veufs ou des veuves : une fois le deuil fait, ils peuvent se réinsérer dans le grand circuit de la vie, s’arracher à l’obsession de l’être perdu, si cher leur ait-il été.

 

Il y a danger à avoir une vision trop proche et constante de la mort. Il y a des tâches plus urgentes. S’il faut donc laisser les morts enterrer les morts (Matthieu 8/22 ; Luc 9/60), laissons les morts-vivants maintenant plastifier les cada­vres…

 

Article paru dans Golias Hebdo, 14 mai 2009

 

D.R.

*

 

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3 avril 2024 3 03 /04 /avril /2024 01:00

O

n se demande où va s’arrêter le nihilisme où s’engloutit chaque jour davantage le monde de l’art contemporain.

 

Lors d’une vente aux enchères chez Sotheby’s à Londres, une toile de l’artiste Banksy, star du street art, La Fille au ballon rouge, qui venait d’être adjugée au prix record d’1,2 million d’euros, a été déchiquetée en lamelles par une broyeuse dissimulée dans son cadre, télécommandée par l’artiste lui-même.

 

Stupéfait, le public a mitraillé le dispositif, pour immortaliser le moment avant la destruction complète. Pour Nicolas Laugero Lasserre, spécialiste du street-art, Banksy « va devenir par ce coup de génie l’artiste le plus coté au monde. » (Source : Francetvinfo.fr, 06/10/2018)

 

Sans doute le geste iconoclaste de l’artiste avait-il pour but de montrer la totale déconnection du marché de l’art où les prix atteignent des valeurs stratosphériques, avec la réalité des objets eux-mêmes proposés à la vente, soumis à la pure loi de la marchandisation et de la spéculation. Le même tableau vendu avec un nom connu verra son prix s’envoler, et au contraire s’il est proposé par un inconnu il n’intéressera personne. On n’achète pas une œuvre, mais du vent médiatisé.

 

Le paradoxe est que cette entreprise faite pour dessiller les yeux des acheteurs est récupérée par le système lui-même, et qu’elle donne une plus-value à celui qui en est l’auteur. Plus l’artiste déconstruit le système, plus sa cote monte.

 

L’œuvre elle-même disparaît en tant que telle, et ce qui compte est le buzz qui se fait autour d’elle : non sa valeur esthétique ou d’« usage », mais sa valeur de représentation, toute arbitraire (sa cote financière, décorrélée de tout substrat réel). Ainsi, après avoir fait l’acquisition d’une sérigraphie du même Banksy, la start up Injectice Protocol a procédé à sa destruction en mars 2021. La combustion, filmée, horodatée, valorisée, a ensuite été vendue sous la forme d’un fichier numérique, quatre fois plus cher que l’original. (Source : Télérama, 0906/2021, p.30) 

 

Les galeries suivent le mouvement, et il est très facile, comme on dit, de les épater...

 

... Comment expliquer cet aveuglement ? Je pense aux nobles qui assistaient aux pièces de Beaumarchais, et qui applaudissaient aux critiques mêmes dont ils y faisaient l’objet. Ne les comprenaient-ils pas ? Ou bien succombaient-ils à un vertige masochiste ? Ou les deux ?

 

Quoi qu’il en soit, ce système fou où toute notion de réalité est perdue subsiste, comme le disait Baudrillard de la société de consommation, « avec une fixité obscène ». Quelques tout petits pourcents de la population possèdent la majorité des richesses de la planète, dont ils n’ont que faire que de s’en amuser. Nous vivons une apocalypse joyeuse, et l’orchestre du Titanic continue de jouer en plein naufrage...

 

[v. Art ]

Article paru dans Golias Hebdo, 18 octobre 2018

 

D.R.

*

 

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  • Agrégé de lettres, professeur honoraire en khâgne et hypokhâgne, écrivain, photographe, vidéaste, chroniqueur et conférencier (sujets : littérature et poésie, stylistique du texte et de l'image, culture générale et spiritualité).
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